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La nappe de Beauce à Nottonville : évolution des nitrates, chlorures, dureté et pesticides, de 1985 à 2007


Résumé : un exemple de hausse importante et durable des teneurs en nitrates et autres impacts qualitatifs de l'agriculture intensive dans une nappe libre.


La nappe des "calcaires tertiaires libres de Beauce–4092 " est un exemple de nappe libre largement utilisée pour l'agriculture, l'alimentation en eau potable et l'industrie. L'évolution du niveau et de la qualité de l'eau est préoccupante, mettant en danger l'alimentation en eau potable et l'équilibre des écosystèmes aquatiques qui en dépendent. Un bilan récent est disponible dans l'Etat des lieux du SAGE nappe de Beauce.

Méthode

Les données ont été téléchargées à partir du portail ADES, et de la fiche point d'eau correspondant au qualitomètre 03265X0031/S. Eau-Evolution a choisi ce qualitomètre parce qu'il bénéficie d'un suivi relativement long au niveau des nitrates. Il plonge dans la nappe des calcaires tertiaires libres de Beauce au niveau de la commune de Nottonville (28). Le forage est utilisé pour la production d’eau potable et autres usages domestiques.

On dispose de 1 à 3 analyses de par an de 1985 à 2007 pour les nitrates, chlorures et dureté, et seulement à partir de 2003 pour les pesticides pour lesquels 8 prélèvements au total sont disponibles. Ce suivi a été effectué dans le cadre du Réseau de contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine RNSISEAU.
Les traitements ont été effectués avec Excel 2007.

Résultats

Les nitrates

Le graphe ci-dessous montre l'évolution des concentrations en nitrates depuis 1985 :


Les concentrations en nitrates augmentent de façon pratiquement linéaire depuis 1985, avec un accroissement d'environ 1 mg/L chaque année. Il n'y a pas de mesures disponibles dans les années 1970 qui permettraient d'avoir les teneurs en nitrates antérieures à la mise en place de l'agriculture intensive en surface. Mais les concentrations mesurées en surface dans le Loir (voir l'article La rivière "le Loir" : hausse des concentrations de nitrates de 1971 à 2008) sont un reflet des pratiques agricoles. Et donc, au vu de ces données, on peut supposer que les concentrations de nitrates dans la nappe de Beauce dans les années 1970 ne devaient pas dépasser les 10 mg/L.
On a ainsi laissé les concentrations augmenter d'une vingtaine de mg/L en l'espace de 20 ans. En 2007, la concentration en nitrates a atteint 61 mg/L. La vitesse de pénétration des nitrates dans la nappe est lente, de l'ordre de quelques années, mais si des mesures efficaces avaient été prises dès le début des années 80, quand on savait que les rivières étaient déjà trop polluées par les nitrates, ce qui révélait des pratiques agricoles irresponsables, on en aurait certainement vu l'effet de nos jours dans la nappe. Et vu les teneurs que l'on trouve encore en 2007 en surface en périodes de fortes eaux, on ne peut pas espérer de réduction significative des concentrations dans la nappe avant une dizaine d'années.

Les chlorures et la dureté

On aborde ici un autre aspect de l’impact de l’agriculture intensive sur une nappe : la pollution des eaux par les chlorures des engrais agricoles (Chlorure de potassium, etc.).


Les concentrations de chlorures augmentent à raison de presque 1 mg/L de plus chaque année et sont, comme les nitrates, un bon marqueur du peu d'amélioration des pratiques agricoles en surface. A moins que ce ne soit l'impact des pratiques de salages hivernaux des chaussées ou autre ?

On remarque aussi une augmentation significative de la dureté, donc du pouvoir entartrant de l'eau :


Aperçu de la contamination en pesticides

Pour les pesticides, seuls 8 prélèvements sont disponibles et uniquement depuis 2003. Les graphiques suivants montrent pourtant que les concentrations totales et maximales, étant élevées et très variables, mériteraient un suivi plus intense :





Même constat pour le nombre de pesticides quantifiés dans chaque prélèvement :


Les pesticides quantifiés sur la période mesurée sont, avec leurs valeurs maximales : Atrazine 0,25 µg/L, Atrazine déisopropyl 0,03 µg/L, Atrazine déséthyl 0,63 µg/L, Chlortoluron 0,06 µg/L, Isoproturon 0,02 µg/L et Simazine 0,02 µg/L.

Environ 21 pesticides sont recherchés dans 6 des 8 prélèvements. Pour les 2 autres, 51 ou 67 pesticides sont recherchés par prélèvement.
Pour l'ensemble des 8 prélèvements, on ne recherche que des pesticides, excepté pour l’un d'entre eux où l'on recherche une vingtaine d'autres substances.

Dans tous les cas, cela ne fait pas beaucoup de substances recherchées par rapport à la pression de l'agriculture intensive en surface, et par rapport aux nombres de substances recherchées et quantifiées dans les eaux de surface et les sédiments du même secteur géographique (voir article Le loir à St-Denis-les-Ponts : aperçus de la toxicité et de la contamination chimique de l'eau et des sédiments). Par ailleurs, ces prélèvements, tous les 6 mois environ, sont trop espacés pour évaluer correctement la durée pendant laquelle la somme des pesticides est élevée ainsi que son évolution. On avait par exemple 0,61 µg/L en août 2006, 0,54 µg/L en novembre 2006 et 0,99 µg/L en avril 2007. Or les prélèvements précédents et suivants, autour de 0,4 µg/L, n'étaient qu'en mars 2006 et octobre 2007.

Remarques sur les limites analytiques

Un code remarque égal à "2" indique normalement une limite de détection (LD). Mais dans les fichiers téléchargés, il s'agit vraisemblablement de limites de quantification (LQ) puisque l'on ne dispose que de codes remarques égaux à "2" ou à "1" (voir l'article Comment Eau-Evolution évalue les contaminations chimiques et la toxicité).

Pour tous les micropolluants synthétiques, ces limites devraient être suffisamment basses de façon à servir d'alerte en cas de début de contamination et à prendre les mesures nécessaires pour protéger efficacement cette ressource que l'on doit gérer de façon patrimoniale depuis 1992.

En particulier pour les pesticides, dans le Système d'évaluation de la qualité des eaux souterraines publié en 2003, le premier seuil de contamination est de 0,01 µg/L par substance (0,001 µg/L même pour certaines substances) : "L'état patrimonial du SEQ Eaux souterraines fournit une échelle d'appréciation de l'atteinte des nappes par la pollution et permet de donner une indication sur le niveau de pression anthropique s'exerçant sur elles sans faire référence à un usage quelconque".
La norme pour la potabilisation sans traitement des eaux brutes étant de 0,1 µg/L par pesticide, il semble logique que les mesures, même si elles sont effectuées dans le cadre d'un réseau d'usage eau potable, prévoient un seuil beaucoup plus bas que cette norme, de façon à signaler éventuellement un début de contamination et donc un problème d'efficacité sur le périmètre de protection du captage.

Les LQ des pesticides devraient donc logiquement baisser au cours des années, en fonction des progrès sur le plan analytique, et en tout état de cause, ne pas excéder 0,01 µg/L. Les exemples suivants montrent que ce n'est pas forcément le cas :
  • 100% des LQ sont supérieures à 0,01 µg/L en 2007
  • Certains pesticides comme le Dichloropropène-1,3 cis et Dichloropropène-1,3 trans et le Dichloropropane-1,2 et Dichloropropane-1,3 (fumigants pour les traitements du sol) ont été recherchés, uniquement d'ailleurs en 2006, avec des LQ respectivement de 2 et 10 µg/L, ce qui reste énorme dans l'absolu et par rapport à la norme eau potable de 0,1 µg/L pour chaque pesticide. Le Dibromoéthane-1,2 est recherché avec une LQ de 1 µg/L. Les 2,4-DB, 2,4-MCPB, Métamitrone, Dicamba, Glyphosate, Clopyralide, AMPA et Trinexapac-ethyl sont recherchés avec une LQ exactement égale à 0,1 µg/L
Les LQ dans la nappe sont aussi particulièrement élevées par rapport aux pratiques en eaux de surface. Comparons-les par exemple en 2007 avec les LQ utilisées pour le suivi de l'Ill cette même année (voir l'article La rivière "l'Ill" à Huttenheim (2) : contamination chimique et toxicité de l'eau (les pesticides)) :
  • 100 % des LQ des pesticides dans la nappe étaient supérieures à 0,01 µg/L contre 84 % dans la rivière
  • Certains pesticides sont recherchés avec des LQ plus élevées dans la nappe qu'en rivière pour cette même année 2007 : le Linuron et le Monolinuron sont mesurés avec une LQ de 0,05 µg/L dans la nappe contre 0,02 µg/L en rivière. Ou le Métamitrone, recherché avec une LQ de 0,1 µg/L dans la nappe contre 0,05 µg/L en rivière
La norme pour la potabilisation sans traitement des eaux brutes est de 0,1 µg/L par pesticide, mais elle est aussi de 0,5 µg/L pour la somme des pesticides. Or on ne se donne pas les moyens de calculer correctement la somme des substances quantifiées : on ne recherche que très peu de pesticides dans chaque prélèvement et leurs LQ sont trop élevées.
Par exemple, pour le prélèvement le plus récent de cette série de données dans la nappe de Beauce, le prélèvement du 10/10/2007, la somme des concentrations quantifiées était de 0,38 µg/L. Mais la somme des concentrations, si l'on ramenait les substances non quantifiées à leur LQ, était de 1,79 µg/L ! Avec plus de substances recherchées et des LQ plus basses, on limiterait beaucoup le risque de faire des évaluations erronées.

Conclusion

Ces quelques graphiques montrent non seulement que l'eau est devenue impropre à la consommation sans traitements couteux (nitrates et pesticides), mais aussi que les écosystèmes aquatiques de surface liés à la nappe sont forcément impactés sur le plan qualitatif (pour les aspects quantitatifs, voir l'article La "nappe de Beauce" à Trancrainville : évolution du niveau de 1965 à 2009).
Ils montrent aussi que, quel que soit l’usage auquel elles sont destinées, la qualité des mesures est très insuffisante.

Alors, la question de gros bon sens : L'argent économisé par le secteur agricole qui n'a pas mis en place de pratiques respectueuses de l'environnement doit-il finalement être dépensé par les consommateurs d'eau ou par le système de santé publique ? et le bon état des eaux en 2015 ?


Note :
Pour Eau-Evolution, la catégorie des pesticides regroupe toutes les substances utilisées, ou ayant été utilisées autrefois, pour leur pouvoir biocide par les secteurs agricole mais aussi industriel et domestique. Le classement de certaines substances est difficile et souvent délicat. Une quinzaine de substances sur les 972 recensées ont d’ailleurs changé de catégorie avec mise à jour de l’index des substances depuis la rédaction de cet article (n-Butyl Phtalate, Butyl benzyl phtalate, Formaldehyde, etc.). Cela ne change en rien les résultats concernant les quantifications. Le lecteur est tout à fait libre de classer les substances dans la catégorie qui répond au mieux à ses interrogations. L’auteur rappelle que l’objectif premier de cette vitrine est de proposer des méthodes pour appréhender au mieux la réalité de la contamination chimique des milieux aquatiques. Les experts chimistes et toxicologues sont fortement invités à participer à l’amélioration de la pertinence de l’index des substances chimiques.


Création : 3 février 2009
Dernière actualisation :

Commentaires (fermés depuis mars 2014)

Cyrille WWF, le 2009-09-25 10:12:28

A quelle est belle notre Beauce, certains diront le grenier à Blé de la France ! L’Eure et Loir dont une bonne partie comporte la Beauce n’est il pas le premier département Français pour la production de céréales !? La France n’est elle pas excédentaire pour sa balance commerciale pour ses produits agricoles, du fait des céréales, des produits IAA (manufacturés) et pour ses spiritueux !? Dans un contexte de déficit structurel de sa balance commerciale, on comprend mieux pourquoi on continue de soutenir un tel modèle agricole qui nous conduit et conduit nos eaux de surfaces et souterraines (cf. cas cité ici) à la catastrophe ! 30 ans auront servis à ce résultat : Les responsables : nos politiques ! Les agriculteurs : les boucs émissaires ! Ce qui est intéressant et ce que montre l’auteur, c’est l’augmentation récurrente des C° des paramètres mesurés : nitrates, chlorures, dureté, depuis 1985 (et avant ?). Compte tenu de cette situation et de ces courbes :
1) Existe-t-il une corrélation sur la base de ces 3 paramètres avec une augmentation de la salinité des sols (accentuée par l’irrigation, on est dans un bassin où l’été on arrose par 30°C en plein soleil, alors que des restrictions d’usage existent pour les particuliers (mais on m’a déjà répondu, il n’y a pas de problème sur la nappe de Beauce en (on était en 2003, et rebelote cet été 2009!) => va-t-on vers la désertification de cette plaine, qui perd en matière organique !?
2) Existe il d’autres paramètres mesurés (HAP, PCBs, métaux, autres substances synthétiques) pour lesquels on constate une augmentation (il serait intéressant de constater une augmentation des HAP : il faut savoir que pour empêcher l’agglomération des boulettes d’engrais chimiques (pour faciliter la mécanisation de l’épandage), les industriels pulvérisaient du fuel !? => On a aspergée la Beauce de pétrole !).
3) Peut on établir des droites de régression pour avoir une estimation de là où cela nous mène si on continue sur cette voie ?
4) Quid des populations habitant en surface (l’eau potable est produite à partir de cette nappe).


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