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Les êtres vivants microscopiques de l’eau (2) : album de famille des unicellulaires eucaryotes


Cet article fait suite à l'article Les êtres vivants microscopiques de l’eau (1) : comprendre et observer les unicellulaires eucaryotes. Nous présentons ici les unicellulaires eucaryotes (protistes) les plus connus, ou qui se distinguent par un aspect physique ou un comportement étonnants. Ces portraits détaillés vous donneront un exemple de leur complexité et de leur diversité. Mais seule une observation patiente au microscope des protistes vivants vous permettra de pénétrer dans leur petit monde fascinant.

Cet album de famille est aussi un hommage à la biologiste américaine Lorraine Lee Larison Cudmore dont beaucoup d'extraits de son ouvrage remarquable "the Center of Life"(1), sont présentés ici : ce sont des descriptions croustillantes et tout à fait originales et d'actualité sur la vie privée des protistes.

Cet album est destiné à être complété et enrichi de toutes vos observations personnelles et photographies inédites.

Amoeba proteus (protozoaire)

Leur forme varie à chaque instant.

Elles utilisent leurs pseudopodes pour se déplacer, mais aussi pour se nourrir. Lors de la phagocytose, le pseudopode entoure la particule. Lors de la pinocytose, les gouttes de liquide pénètrent dans le cytoplasme sous forme de vésicule.

Le fonctionnement du pseudopode est très élaboré : "le cytoplasme de l'amibe durcit à l'extérieur de la protubérance, alors qu'il se liquéfie à l'intérieur, si bien que le pied se forme et se défait au fur et à mesure du déplacement. C'est un peu comme un boyau qui se remplit, ou comme la chenille d'un char. La pellicule externe du cytoplasme devient rigide et constitue une enveloppe provisoire qui se remplit au fur et à mesure du cytoplasme interne liquéfié".


"La plupart du temps, nous regardons l'amibe d'en haut, et de ce point de vue, ses mouvements semblent n'être qu'une suite de glissements indécis. Cependant, malgré les apparences, l'amibe est une créature à trois dimensions. Il suffit, pour s'en rendre compte, de la regarder sous un autre angle, de côté par exemple, et nous voyons les faux pieds pour ce qu'ils sont en réalité : des pattes. Des pattes maladroites et un peu éléphantines, certes, mais tout de même des pattes, et qui se tendent en avant pour faire des pas… Nous devons rendre à l'amibe la dignité qu'elle mérite : elle se tient debout et elle marche. C'est un exploit sans pareil pour une créature dépourvue d'os ou d'arêtes".

"Elles peuvent fabriquer et se glisser dans plusieurs pseudopodes simultanément. Toutefois, vous ne surprendrez jamais une amibe en flagrant délit d'indécision : même si deux morceaux sont enclins à partir dans deux directions opposées, elle choisit toujours… Ceci n'est pas de la schizophrénie, ni une espèce de confusion, mais une méthode judicieuse pour sonder les conditions offertes dans plusieurs directions simultanément, afin de pouvoir effectuer un choix avisé de la meilleure direction à prendre".

"Elles ôtent leur faux pied de l'endroit où elles ont perçu une sensation déplaisante, et elles font pousser un autre pseudopode dans une autre direction. Si elles ne sont entourées que par des choses désagréables, elles renoncent et se replient sur elles-mêmes pour former un tas calme et stoïque, qui refuse de n'étendre plus qu'un minuscule pseudopode. Si ces mauvaises conditions persistent, elles s'adaptent avec philosophie : au bout d'un moment, elles étendent un pseudopode curieux et aventureux. Elles se sont résignées, et se sont finalement décidées à ignorer les caprices malchanceux de leur existence".

"Pour une amibe, une bricole suffisamment grosse et remuante est plus intéressante que quelque chose de taille insignifiante, et qui ne bouge pas beaucoup. Apparemment, l'amibe est tout à fait capable de détecter des différences de taille ou de mouvement, car elle exprime son intérêt par la taille du pseudopode qu'elle étend : plus son intérêt est grand, plus son pseudopode sera grand et gros. Mais c'est seulement lorsqu'il y a quelque chose de relativement grand et qui remue beaucoup qu'elle étendra un pseudopode grand et très intéressé".

"L'amibe Paramoeba eilhardi, mon amibe préférée, a agrémenté la locomotion amibienne classique d'une particularité spectaculaire : sa surface est recouverte de minuscules structures transparentes souples, bordées de huit facettes et ouvertes sur le sommet. Elle utilise ces structures comme des ventouses de façon à obtenir plus de prise sur la surface sur laquelle elle se déplace. C'est ce son inimaginable que j'aime : le son qui doit être produit lorsque ces centaines de petites sandales en caoutchouc sont posées l'une après l'autre, puis décollées à nouveau… Lorsque l'amibe flâne en suintant, ces centaines de gargouillis de succion doivent produire un son réellement inégalable".

"Elles ont coutume d'enrober et d'ingérer n'importe quel morceau de détritus, pourvu qu'il leur semble délectable… Certaines amibes sont carnivores, mais, comme prédateurs, elles ont un petit problème : la locomotion. En effet, comment parler de chasse rapide lorsqu'elles se trainent péniblement en suintant d'un endroit à l'autre ? Elles arrivent à se déplacer, certes, mais où est l'allure svelte du chasseur ? N'importe quelle proie pourrait les distancer aussi facilement qu'un lièvre qui voudrait échapper à une tortue carnivore, et c'est sans doute la raison pour laquelle les tortues s'en tiennent aux vers de terre. Et pourtant, ces amibes mangent. L'amibe pataude arrive à paralyser dans sa zone d'influence une paramécie remuante qui nage rapidement. On ne sait pas bien comment : poison ? hypnose ? charisme amibien ? Alors, comme un âne résigné et bien entraîné, notre paramécie se prépare à l'horrible sort qui l'attend, horrible et sans considération pour l'observateur sensible. La paramécie reste immobile, tandis que l'amibe en fait le tour en suintant. Soudain, l'amibe l'engloutit complètement dans son protoplasme ballotant. La scène qui suit est digne de Edgar Allan Poe : une fois que la paramécie est à l'intérieur de l'amibe, le charme se rompt. On peut la voir bien vivante, baignant dans le protoplasme de l'amibe. Tandis que l'amibe la digère tranquillement, elle agite frénétiquement la chevelure de cils qui couvre son corps. C'est sans doute sa façon à elle de se débattre et de hurler de douleur. On peut lire une autre version de cette histoire dans "la barrique d'Amontillado"…
".



Les thécamibes (protozoaire)

"Parmi les amibes, il y a de simples maçons, non architectes, qui se contentent d'enrober des grains de sable avec la gelée collante qui suinte de leurs extrémités. Elles les empilent pêle mêle"...


…"D'autres amibes, plus méticuleuses, ajustent parfaitement les grains bord à bord, rivalisant de précision avec les mosaïstes byzantins de la cour de Justinien et Théodora… D'autres encore, avec plus de frénésie architecturale, fabriquent leur maison en superposant des lamelles de verre hexagonales ; elles construisent un dôme qui ressemble à une pomme de pin minuscule, à un tout petit ananas de cristal
".

Les actinopodes (protozoaire)

"Les amibes radiolaires sont réellement flamboyantes. Elles édifient des soleils de cristal constitués de pointes transparentes longues et fines qui rayonnent d'une sphère cristalline centrale".

"Et, comme pour tous les arts, il y a forcément un génie. "Il sorpasso". C'est notre amibe Beethoven. Cette gelée prétentieuse s'appelle Hexacanthion astercanthion"...


…"Une seule sphère géodésique (hexagones creux formés à partir d'arcs boutants en verre juxtaposés) ne peut satisfaire ce super-architecte. Il ne lui faut rien moins que trois sphères de verre ajourées comme de la dentelle et emboîtées l'une dans l'autre comme ces folies d'ivoire qui font la fierté des sculpteurs orientaux, les jours de l'une révélant les ciselures encore plus exquises de l'autre
".

Euglena viridis (protozoaire ou algue verte, selon l'environnement)

"Voyez-vous dans l'objectif ce petit ballon ovale, de couleur verdâtre, portant à l'un de ses bouts un filament flexible qui tournoie et l'entraine à sa suite ?...il court, il court, ce petit bateau de 30 millièmes de millimètre, tiré par son hélice, dont l'extrémité frétille en pas de vis. Il va, tournant sur lui-même…"(2)

L'euglène avance en effet avec un mouvement hélicoïdal, tractée par son flagelle. Les euglènes se déplacent vers les sources de lumière. On peut d'ailleurs les rassembler avec une source de lumière, et faire des expériences amusantes. Il suffit pour cela d'une bassine dans laquelle on met un peu de vase verte pleine d'euglènes.

"L'euglène porte deux flagelles, un long et un court, qui sont situés à l'avant. Le plus long est recourbé de côté, et traine sur l'arrière en ondulant. Pour se déplacer, elle fournit simplement des impulsions à ce flagelle qui va onduler de la base à l'extrémité, comme si elle fouettait une corde ou un lasso. Les ondulations de ce flagelle animent l'euglène d'un mouvement de double rotation ; elle tourne autour de son axe propre, presque trop rapidement d'ailleurs pour que ce mouvement soit perceptible ; elle tourne ensuite selon de larges cercles, l'avant décrivant de grands cercles autour de l'arrière qui reste immobile selon une ligne droite. Grâce à son flagelle, l'euglène devient elle-même une véritable pale d'hélice, propulsée dans l'eau comme un moteur de hors-bord".

"Il nous faut revenir à l'euglène pour comprendre comment a commencé notre cerveau, ce cerveau où résident la conscience et l'humanité. L'euglène, propulsée par son flagelle, possède un ocelle orange brillant qui est sensible à la lumière. L'angle avec lequel la lumière éclaire l'ocelle détermine l'angle avec lequel le flagelle est orienté tandis qu'il bat. L'intensité lumineuse ajuste aussi l'angle du flagelle court qui sert de gouvernail. Grâce à la connexion directe de l'ocelle et du flagelle, l'euglène peut se diriger là où elle trouvera de la lumière forte, mais pas trop forte cependant. Voilà sans aucun doute une forme de perception, avec réponse à la perception, chez les protistes. L'euglène, ou plutôt son flagelle, répond à l'interprétation de l'environnement réalisée au niveau de l'ocelle. Tout cela se situe à un niveau extrêmement simple, mais la pensée et l'intelligence ont bien dû commencer quelque part, et il y a de grandes chances que ce soit là, dans la spirale tubulaire du flagelle… Nous utilisons nous-mêmes beaucoup cette structure en spirale : pour les détecteurs de gravité dans nos oreilles ; pour notre sens de l'odorat ; et pour les cellules de nos yeux qui détectent la lumière, ce sont les bâtonnets, dans la rétine. Le plus simple des systèmes nerveux nécessite juste un détecteur (pour capter l'information de l'environnement) et un effecteur (pour agir), comme un ocelle et un flagelle. Dans nos cellules visuelles, la transmission des informations jusqu'au nerf optique est assurée par un faisceau de cils ! Ces cils ont la même structure que celle du flagelle qui transporte le message depuis l'ocelle, et qui le traduit en mouvement au fur et à mesure qu'il avance. Naturellement, le mouvement apparut en premier. La vision ne vint qu'après. Car la vision n'est qu'une adaptation du mouvement qui le rend plus efficient et plus sensé : la vision est en réalité une locomotion immobile, elle permet à l'organisme d'apprendre les mêmes choses sur l'environnement que s'il se déplaçait, mais elle économise une grande quantité d'énergie".

"L'euglène, habituellement libre et indépendante, se déplace à son gré en fouettant son flagelle. Cependant, elle sacrifie occasionnellement son indépendance et son flagelle, pour former temporairement une société presque totalement non interactive : lorsque l'euglène est prête à se reproduire, par simple division cellulaire asexuée, elle met son flagelle de côté et s'enveloppe d'un nimbe de gelée translucide. Cette sphère gluante la protège de la forte lumière et de certains prédateurs. Elle est alors libre de consacrer toute son attention à d'autres préoccupations. Elle va se diviser plusieurs fois, chaque cellule fille restant à l'intérieur du petit univers en gelée que sa mère lui a préparé… Une fois que les divisions sont terminées, chaque individu s'équipe à nouveau d'un flagelle et s'éloigne à la nage sans même jeter, avec son ocelle rouge orangé, un regard en arrière
".

Les paramécies (protozoaires)

"La paramécie avance en tournant autour de son axe longitudinal, selon un mouvement hélicoïdal. Elle peut changer brusquement de direction et faire marche arrière. Les mouvements des cils sont semblables à ceux d'un champ de blé qui ondule avec le vent".

"Un endroit agréable, pour une paramécie, doit être assez chaud et offrir beaucoup à manger, surtout des bactéries. Naturellement, la paramécie ne peut pas réfléchir, mais elle peut percevoir et changer de direction, et c'est tout ce dont elle a besoin pour vivre confortablement. C'est un comportement passif, automatique, simple et stéréotypé, mais il conduit la paramécie précisément là où elle choisirait d'aller si elle avait la possibilité de choisir. Les cils, par leurs battements, lui apportent un échantillon de ce qui se trouve au devant d'elle. S'il y fait plus froid ou moins acide que l'endroit précis où la paramécie se tient, les cils inversent automatiquement leurs mouvements. La cellule recule alors, tout en tournant d'un angle de 30 degrés par rapport à la position de sa bouche. Puis elle se met à avancer à nouveau. Si les conditions sont toujours mauvaises (ou simplement légèrement plus défavorables), les cils s'inversent à nouveau et la font tourner d'un nouvel angle de 30 degrés, et toujours dans le même sens qu'au début. Puis elle embraye à nouveau vers l'avant. Et ainsi de suite. S'il le faut, elle tournera d'un angle de 360 degrés, cela signifiant qu'il n'y a rien de prometteur autour d'elle. Cette attitude, toute bête qu'elle soit, donne un résultat enviable que nous ne pouvons pas obtenir avec notre haute technologie cérébrale : la paramécie s'arrête toujours à l'endroit qui lui convient le mieux, tout simplement parce que les cils refusent de la conduire là où les conditions sont moins bonnes".

"Placée dans un environnement désagréable, la paramécie ne devient jamais aussi philosophe que l'amibe. Elle se met à nager en rond frénétiquement et tente de s'échapper sans se préoccuper de savoir si cet environnement désagréable est ou non implacable".

"Mon image préférée de relation symbiotique est celle de Paramecium bursaria avec son symbiote interne, l'algue Chlorella. Observée à travers le microscope, c'est une jolie relation : nous apercevons la paramécie dorée, transparente et lumineuse, le corps couvert d'une chevelure de milliers de cils qui battent en ondulations sensuelles. Puis nous pouvons voir à l'intérieur du corps des centaines de roses minuscules, épanouies et d'un vert lumineux dans la lumière réfractée. J'ai toujours trouvée qu'elles ressemblaient à des roses, pour d'autres observateurs, elles ressemblent à des choux, et pour d'autres encore, à des algues unicellulaires. Les chlorelles sont des algues vertes, elles savent faire la photosynthèse qui transforme la lumière en sucres. La paramécie mange les chlorelles, mais elle ne les digère pas. Les petites algues sont hébergées en sécurité à l'intérieur de son corps
".

Les vorticelles (protozoaires)

"La délicate et séduisante vorticelle ! La vorticelle, c'est "l'art nouveau" dans toute sa pureté. Brillante et rayonnante dans la lumière réfractée, elle ressemble à une tulipe irisée. Son globe oscille à l'extrémité d'une tige invraisemblablement longue et fragile. C'est le sommet de la délicatesse et de l'équilibre. Cela seul suffit : c'est la beauté pour la beauté".
"Cette vorticelle forme une colonie très fortement liée… Elle s'épanouit en un arbre élégant, surabondamment orné, d'où les cellules membres pendent comme les clochettes du muguet. Le tronc et les branches de l'arbre sont bâtis en un effort communautaire par ces créatures minuscules. Ce ne sont pas des parties de ces cellules. Ils servent simplement de conduits pour le système de communication protoplasmique qui court de cellule en cellule.
Une nouvelle colonie commence lorsque l'un des protistes quitte l'arbre familial pour aller s'installer ailleurs par lui-même. Pendant les premières heures, il est libre, et c'est la seule liberté qu’il goûtera de toute sa vie. Il finit par trouver un endroit où s'installer, très souvent sous la carapace d'une tortue. Il doit certainement être capable de distinguer les bonnes des mauvaises places, car il en essaye parfois plusieurs avant de se décider à commencer à construire.
Le pionnier commence par bâtir une tige sur laquelle il se perche et se divise pour la première fois. Une des cellules filles reste au sommet, l'autre se trouve un peu déplacée sur le côté. C'est alors que l'arbre débute. Chacune des cellules filles situées sur un sommet se divise à nouveau, une des cellules filles restant au sommet, l'autre passant sur le côté. Les cellules du sommet sont les bâtisseurs, ce sont elles qui continuent à fabriquer la tige et les branches de l'arbre familial. Les cellules reléguées sur le côté sont purement décoratrices, leur seule tâche est d'embellir les branches.
Chaque cellule du sommet se divise, construit un petit bout de tige qu'elle connectera ensuite au câble général qui assure les communications, puis elle se divise à nouveau. C'est ainsi qu'elle formera peu à peu une frondaison découpée tout aussi délicate que sa personnalité. Cet arbre peut disparaitre sur le champ à la moindre perturbation, si légère soit elle. En un instant, la base de l'arbre se contracte toute entière et il ne reste plus qu'un tas informe".

"Toutes les vorticelles ne forment pas des colonies arborescentes. Chez certaines espèces, les pédoncules sont indépendants les uns des autres, et chaque individu vit pour son propre compte".

"La vorticelle a un alter ego, presque aussi attirant mais moins sophistiqué. Chez celui ci, une longue fibre mince court le long de son pédoncule transparent, et peut se contracter en créant un enroulement du pédoncule. Il se met alors à danser sur un ressort de verre comme un diable à ressort, exquis et tout à fait comique
".

Stentor ceruleus (protozoaire)

"A l'œil nu, on n'aperçoit qu'un point bleu translucide, et on ne peut l'admirer dans toute sa beauté. Car il est la réplique cellulaire de la fleur "gloire du matin" (Ipomée), en forme de trompette évasée, rayée de bleu et de blanc. La plupart du temps, Stentor reste immobile, fixé par son pied à un support. Il se nourrit grâce aux rangées de cils vibratiles qui créent des courants d'eau vers sa bouche, entraînant des particules comestibles ou non. Dans le dernier cas, elles seront rejetées par un simple battement inversé des cils. C'est la même technique que celle qu'utilise la paramécie pour s'éloigner d'un milieu indésirable. Stentor se sert donc de ce réflexe commun d'inversion des cils pour évacuer la nourriture de sa bouche".

"Un protozoologiste a déclaré que Stentor était "l'un des plus beaux animaux de l'existence", et cela se pourrait bien. Cette trompette bleu azur bordée d'une petite frange mobile est vraiment jolie. Et il est, sans l'ombre d'un doute, le plus expressif et le plus "gaulois" des animaux, surtout lorsqu'il exprime ses petites contrariétés. Comme tous les protistes, Stentor cherche l'environnement qui lui convient le mieux. Il a une préférence pour les zones ombragées. Aussi, dans la pratique, on peut les rassembler en faisant une petite tâche d'obscurité dans un milieu éclairé. Mais c'est leur comportement lorsqu'ils sont ennuyés, et leur capacité à communiquer leur agacement, qui les rendent si charmants. Essayons de troubler la paix d'un Stentor en le touchant avec une aiguille, ou bien en secouant brusquement son support. La première chose qu'il va faire, c'est de se pencher en avant pour voir si l'intrus lui semble appétissant. Bien qu'il soit dépourvu de dents et de mâchoires, il est capable de mordre furieusement et de maintenir avec fermeté un animal pluricellulaire qui se débat sauvagement. Il peut, à l'occasion, arracher un morceau d'un autre Stentor. Si l'intrus lui parait plein de promesses culinaires, Stentor va essayer de l'aspirer pour le goûter. Cependant, si on continue à l'agacer en secouant toujours son support ou en le piquant vigoureusement avec une aiguille émoussée, il va se retourner, comme la plupart d'entre nous le font lorsque quelqu'un lit notre journal par dessus nos épaules.
Et si on l'ennuie toujours, Stentor va choisir l'une des deux solutions suivantes :
  • Il rentre en lui-même en enfonçant la bouche dans les épaules avec un geste terriblement humain. Puis, après un moment il décidera d'ignorer cet intrus et ce dérangement en continuant de vaquer à ses occupations de Stentor. On dirait qu'il s'habitue à la nuisance et qu'il "apprend" que ces secousses et ces piqûres ne sont pas dangereuses pour lui.
  • Sinon, il décide de ne pas se montrer aussi tolérant, et lève l'ancre. Il utilise alors ses cils pour nager vers d'autres horizons. Son choix est déterminé par des critères de sécurité : si l'endroit où il se trouve est riche en nourriture, il faut vraiment l'ennuyer sans merci pour qu'il se décide à partir"

Didinium (protozoaire)

"Mais quand vient l'heure du repas, pour des créatures sans cervelles, les protistes se montrent rusés et féroces.
Beaucoup se contentent d'une promenade désinvolte dans leur mare, et s'ils heurtent quelque bricole appétissante, ils la mangent, et tout va pour le mieux… Certains protistes font simplement circuler quelques courants d'eau dans leur bouche et leur gosier, en priant pour que quelque chose de bon arrive avec l'eau.
Mais passons à présent aux prédateurs consacrés, aux carnivores qui usent de stratagèmes et d'armes subtils et imparables. Un groupe tout entier de protozoaires s'est spécialisé dans la poursuite des proies. L'un d'entre eux s'appelle Didinium. Vu d'en haut, il paraît assez inoffensif. Il ressemble à une boule ronde qui rebondit gaiement et sans but, de haut en bas, d'avant en arrière. Mais c'est un autre Didinium que nous voyons s'il vient à heurter une appétissante paramécie, protozoaire cilié en forme de pantoufle, et aussi, version protiste de la saucisse. Le Didinium déploie immédiatement les petits dards qui entourent sa bouche, et les plante solidement dans sa victime..."


…"Avec ces armes secrètes, infâmes et mortelles, il paralyse progressivement sa proie. Il lui faut effectivement des armes puissantes, car la paramécie est souvent trois fois plus grande que lui, et nage très bien elle aussi. Heureusement pour le Didinium, le poison paralysant des dards n'a pas son pareil. La paramécie se raidit rapidement et arrête de remuer. Alors, sans plus de cérémonies, la paramécie toute entière est engloutie dans la bouche du Didinium qui s'apprête à la digérer. Didinium doit se dilater pour s'ajuster à sa proie. Et maintenant, dégoûtant tellement il est bouffi, il se remue en titubant un peu. Plus question à présent de bonds spectaculaires
".

Acinetopsis rara (protozoaire)

"Les Acinetopsis rara sont fixées à un support par des pétioles ténus. Mais il leur faut aussi manger. Elles restent immobiles, oscillant sur leur tige comme un parterre de tulipes livides et translucides. Mais cette douceur est trompeuse. C'est une véritable "fleur du mal", s'il en fut, qui s'épanouit sur cette tige. En effet A. rara possède un engin mortel : un lasso. Et voila notre palindromique A. rara, confortablement installée à la façon d'un cow-boy qui se repose, assis sur la clôture du corral. Elle lance et elle ramène son lasso, tentacule préhensile long et mince, avec désinvolture…. Mais notre A. rara est quelque peu gourmet. Rien ne peut satisfaire son appétit, si ce n'est un met particulier : elle n'aime qu'une seule espèce de protozoaire parmi les 20000 existantes ! Seule la rimante Ephilota gemnipara peut apaiser les tiraillements d'estomac de notre A rara. Tant que le lasso infatigable ne touche pas une Ephilota, il ne se passe rien. Mais si c'est le cas, le tentacule serre très fort sa proie, et une lutte de traction tragique commence, car Ephilota aussi s'accroche désespérément à son support. L'ultime traction se produit enfin : Ephilota est cruellement arrachée de son support pour être dévorée. Parfois, quelques morceaux non consommés d'Ephilota restent collés sur A. rara, comme les débris du repas qui restent collés de façon dégoûtante à la barbe du gourmand peu soigneux".

Labyrinthula coenocystis (protozoaire)

"Les membres de cette espèce tendent à se regrouper au lieu de vivre séparés, chacun pour soi. Comme l'indique son nom, ce protiste bâtit un labyrinthe, un labyrinthe délicat, joli et pratique. Une colonie de Labyrinthula construit un réseau de fils transparents et brillants qui sont tendus dans toutes les directions. Lorsqu'un Labyrinthula désire voyager, il a le choix entre transport particulier ou transport public. Dans le premier cas, il se contente de nager de son propre chef dans les environs. Sinon, il emprunte le réseau qui lui permet de se déplacer rapidement entre les fils du labyrinthe, comme un wagon dans un couloir de métro vide… Il emprunte son monorail de cristal, s'élance et file dans les deux sens à travers les fils".

L'euplote (protozoaire)

"Il est difficile de trouver un protiste inintéressant, surtout lorsqu'il est en train de se déplacer. Mais ils ne sont tout de même pas tous aussi drôles que l'euplote, ce protiste "Winnie l'ourson", avec ses petites pattes… L'euplote fait partie des protistes qui fusionnent leurs cils en petites pagaies. Le premier admirateur des protistes, Leeuwenhoek, appelait ces structures des pattes, et il avait peut être raison. Car ces créatures ne se servent pas de ces cils fusionnés comme des pagaies, mais plutôt comme des pattes, pour trotter. Elles marchent sur ces petites pattes qui sont rigides et robustes… Si la direction qu'ils suivent ne les satisfait plus, ou s'il semble qu'il y ait quelque chose d'intéressant à aller inspecter de plus prés, ils changent de route et de vitesse en tournant promptement sur leurs jambes qui ressemblent à de petites échasses".

Gonium (algue verte)

"Gonium ressemble à une vraie société. A une société sans organisation, une cité désorganisée qui serait peuplée d'anarchistes. Les individus se regroupent selon un disque légèrement bombé comme un bouclier. Tous les protistes de la colonie Gonium s'installent, épaule contre épaule, la tête en avant et le flagelle en arrière, perpendiculairement au disque. Ils s'assurent ainsi qu'ils effectuent bien le travail le plus dur et le moins performant pour faire avancer cette communauté flottante. Avec la face bombée en avant, ils choisissent en effet la ligne de plus grande résistance de l'eau. De deux choses l'une, soit ils sont complètement nuls en hydrodynamique, soit chacun réclame le droit à être devant. La progression du Gonium est lente et inefficace, mais en revanche sa société est pure démocratie : chacun des citoyens peut se vanter de mener la barque. Ils sont reliés entre eux par de fins filaments protoplasmiques, de telle sorte qu'ils auraient très bien pu s'entendre pour trouver un moyen de propulsion plus efficace, mais ils ont choisi l'égalité".

"Gonium ne se déplace peut-être pas d'une manière très performante, mais on peut penser que sa forme plate lui permet d'exposer au soleil chacune de ses cellules photosynthétiques au même moment, et que donc il est très performant de ce côté-là. Tandis que Volvox, avec sa forme sphérique, est obligé de tourner sur lui-même pour exposer tour à tour chacune de ses cellules à la lumière solaire
".

Pandorina et Pleodorina (algues vertes)

"A la différence de Gonium, la colonie Pandorina a renoncé à la démocratie. Bien que ses membres soient régulièrement espacés dans une boule, ils n'ont pas le comportement égalitaire que l'on attendrait d'eux… Il est possible de distinguer les meneurs : ils sont situés à l'avant lorsque la boule avance dans l'eau et, comme marque de leur position prestigieuse, ils sont décorés d'un ocelle rouge plus grand que celui des autres membres".

"Les privilégiés de la colonie Pleodorina ne s'expriment pas de manière aussi courtoise : seules certaines cellules sont autorisées à se reproduire, à goûter à l'immortalité en transmettant leurs gènes. Il se passe quelque chose dans la colonie, à travers les frêles étais de cytoplasme translucide, qui empêche les cellules antérieures de se reproduire. Il faut que leur corps et que leurs gènes meurent. Il n'y a pas de grâce. Si l'une de ces cellules condamnées quitte la colonie, elle mourra. De la même façon, si nous coupons les liens qui unissent les cellules, la colonie entière mourra. Les cellules situées à l'avant doivent rester et attendre leur sort. Ces travailleur sans sexualité ont pour tâche de contribuer à la masse et à la mobilité, mais pas aux gènes, pour la survivance de Pleodorina
".

Volvox (algue verte)

"Cette créature fabuleusement belle est un maître ès société. Je pourrais décrire aisément cette colonie, et c'est ce que je vais faire, mais la seule façon de décrire Volvox, c'est de dire que sa beauté est indescriptible. C'est un globe miroitant, une sphère constellée de cellules vertes translucides, qui tourne en scintillant dans le champ de lumière. Chaque cellule est liée aux six cellules voisines par de fragiles faisceaux de protoplasme qui forment une toile d'araignée permettant les communications, et dont les ordres sont suivis à la lettre. Une colonie Volvox peut comporter de 500 à 500000 individus distincts, un village ou une ville. Les battements coordonnés des flagelles font tourner Volvox sur elle-même, tout en la faisant avancer. Chaque cellule est comme une étoile accrochée dans un firmament translucide en rotation, et chaque cellule aide la colonie à trouver sa place au soleil. Si la lumière est trop faible ou trop intense, les cellules actionnent un petit flagelle d'appoint situé sur le côté, conduisant ainsi la colonie vers des conditions meilleures".

"On ne peut pas le voir, mais une colonie Volvox abrite une très petite élite. Quelques cellules de l'hémisphère sud, parfois 2, mais jamais plus de 50, sont choisies pour la procréation, pour former de nouvelles colonies par elles-mêmes. Ces cellules peuvent se reproduire, soit par la voie sexuée, soit de façon asexuée par simple division. Les cellules reproductrices par voie sexuée fabriquent des gamètes mâles ou femelles qui formeront la nouvelle génération en fusionnant.
Les autres cellules reproductrices, celles qui ne pratiquent pas la reproduction sexuée, se divisent pour construire un nouveau dôme géodésique aussi spectaculaire. Elles sont peut-être privées d'une expérience qui aurait pu être excitante pour elles, mais elles réalisent par contre un numéro spectaculaire qui est terriblement excitant pour nous : ces cellules se multiplient en formant une colonie nouvelle qui reste cachée à l'intérieur de la sphère parentale. Les nouvelles cellules ne possèdent pas de flagelle et ont la tête tournée vers l'intérieur. Quand approche le moment de sortir, il se produit un grand retournement topologique : la surface intérieure devient la surface extérieure après être passée à travers un pore de la colonie mère, comme une bulle soufflée de l'intérieur vers l'extérieur. Lorsque ces cellules se retrouvent dehors, les têtes pointant maintenant vers l'extérieur de leur sphère, leurs flagelles poussent, et ce nouveau petit monde colonial se met bravement à nager.
Comme les nouvelles colonies ne sont pas libérées avant que la colonie mère ne soit prête à mourir, les colonies filles sont gardées parfois à la maison assez longtemps pour avoir elles-mêmes des colonies filles. Ces petites choses suspendues attendent la mort et la désintégration de leur aïeule, car c'est seulement alors qu'elles seront enfin libres de vivres par elles-mêmes.
Les cellules reproductrices de l'hémisphère sud, qui donnent naissance à des gamètes mâles possédant la mobilité et la fonction du sperme, sont capables de réaliser le même numéro topologique : une fois libres, les gamètes s'éloignent à la nage à la recherche d'une cellule femelle encore retenue dans la toile familiale. Car la cellule femelle ne peut quitter le foyer si elle n'a pas été fécondée. Après la fécondation, celle-ci s'entoure d'un manteau dur et épineux qui la protégera des grands froids de l'hiver. Cette nouvelle colonie ne nage pas. Elle se laisse tomber au fond de sa mare et reste sans vie jusqu'au printemps suivant. Alors, elle se joindra au reverdissement général en abandonnant son manteau sombre et peu élégant pour fleurir en un merveilleux tourniquet. C'est un monde tout entier qui revient à la vie pour tournoyer dans son propre univers aquatique
".

Notes

Toutes les citations, en italique, proviennent, sauf précision complémentaire, d'une traduction en français par le webmaster du magnifique ouvrage(1) du professeur Cudmore.
  1. "The Center of Life, a Natural History of the Cell", L. L. Larison Cudmore, David & Charles, Newton Abbot (1977)
  2. "La Féerie du Microscope", Marcel Rolland, 1947



Création : 25 février 2009
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