Un essai d’évaluation des quantités de substances de synthèse et de métaux déversés sous la forme d’apports diffus ou de rejets ponctuels dans les milieux naturels et de leur impact potentiel sur l’eau.
Eau-Evolution s’intéresse ici à la pression exercée par les micropolluants chimiques, toutes origines confondues, sur le milieu naturel récepteur.
Les différentes données publiques recueillies ne permettent pas d’avoir un historique assez ancien et elles ne sont malheureusement souvent ni adaptées, ni précises ni exhaustives. C’est pourquoi l’objectif de Eau-Evolution est très modeste : pouvoir se faire une idée, même approximative, de la pression chimique diffuse ou ponctuelle sur la ressource en eau et de la qualité des données dans ce domaine.
Quelques ordres de grandeur et quelques calculs "au coin du zinc" permettent de comparer les pressions exercées par les pesticides et par les rejets industriels sur les cours d’eau.
METHODE
Les données de production de substances chimiques en Europe
Elles ont été téléchargées sur le
Portail environnement de Eurostat :
"
The indicator is compiled for 168 toxic chemicals… This indicator presents the trend in aggregated production volumes of toxic chemicals, broken down into five toxicity classes. The toxicity classes, beginning with the most dangerous, are : Carcinogenic, mutagenic and reprotoxic (CMR-chemicals) ; Chronic toxic chemicals ; Very toxic chemicals ; Toxic chemicals ; Harmful chemicals".
Les données sur les rejets ponctuels de substances chimiques en France
Elles ont été téléchargées en août 2009 sur le site
IREP (Répertoire du Registre français des émissions polluantes) et couvrent la France entière.
Ces données concernent les installations classées (établissements industriels et élevages) soumises à autorisation préfectorale et ayant des émissions au-dessus des seuils de
l’arrêté du 31 janvier 2008.
Les stations d’épuration publiques qui sont dans le champ de la nomenclature des installations classées, par exemple qui ne traitent pas uniquement des eaux résiduaires urbaines, font partie du registre IREP.
Les données sur les quantités de pesticides en France
Elles ont été relevées en août 2009 sur les sites :
ORP (Observatoire des Résidus de Pesticides) de 1990 à 2000, et
INFO PESTICIDES.org de 2001 à 2008.
Ces données concernent la France métropole.
Les autres données
Elles concernent la France métropole, de façon à pouvoir être croisées avec les données sur les quantités de pesticides précédentes. Elles ont été relevées sur les sites :
RESULTATS
Un aperçu général avec les données de production de substances chimiques toxiques dans l’Europe des 15. Puis un zoom sur les données de pression disponibles pour les secteurs industriel et agricole (pollution diffuse) en France.
La production de substances chimiques toxiques en Europe
Les données publiques de production de substances toxiques en Europe permettent d’avoir une idée malheureusement très approximative de la pression chimique et de son évolution en Europe car, sauf erreur, on ne dispose pas des données sur les quantités utilisées.
De plus, ces données ne sont pas forcément exhaustives, très agrégées, sans que l’on ait le détail des quantités par substance ni par pays. Le système d’agrégation des substances par niveau de toxicité est cependant assez parlant.
La production annuelle

Ces chiffres sont impressionnants par leur stabilité, par leur niveau et par le potentiel létal qu’ils représentent pour la vie et la biodiversité.
Ainsi en 2007, la production était, en moyenne pour chaque pays, de :
- 2200000 tonnes de cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques
- 533000 tonnes de toxiques chroniques
- 2267000 tonnes de substances très toxiques
- 4333000 tonnes de substances toxiques
- 2933000 tonnes de substances dangereuses
- 8933000 tonnes de substances chimiques non classées comme toxiques
Il faut espérer que les ouvriers qui les manipulent en Europe ou dans le monde sont suffisamment informés et protégés.
Le cumul depuis 1996

Beaucoup de ces substances, si elles se retrouvent dans les milieux naturels, seront persistantes sous la forme de la molécule mère ou d’un ou plusieurs de ses métabolites. C’est pourquoi la pression chimique se mesure aussi en terme de cumuls sur plusieurs années.
Une fois que ces substances ont fini leur cycle de vie incorporées dans les produits et objets que nous utilisons tous les jours, quel est le risque de les retrouver dans les cours d’eau, les nappes souterraines, les eaux marines, l’air, les sols et bioaccumulées dans les graisses des êtres vivants, en Europe ou ailleurs ?
Les rejets ponctuels industriels de substances chimiques toxiques en France
Comme précisé sur le site de l’IREP, les données ne sont pas exhaustives, ni au niveau des substances, ni au niveau des établissements industriels pris en compte :
"
Ce registre est constitué des données déclarées chaque année par les exploitants (site de télé-déclaration http://www.declarationpollution.ecologie.gouv.fr). L’obligation de déclaration par les exploitants des installations industrielles et des élevages est fixée (polluants concernés et seuils de déclaration) par l’arrêté du 24 décembre 2002 puis par l'arrêté du 31 janvier 2008 relatifs à la déclaration annuelle des émissions polluantes des installations classées soumises à autorisation (JO du 07 mars 2003).
Pour de nombreuses raisons, un tel registre ne peut être exhaustif. Les installations concernées sont les installations classées soumises à autorisation préfectorale, et plus particulièrement les installations relevant de la directive IPPC (directive 96/61/CE relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution). Le registre vise cent polluants pour les émissions dans l’eau, cinquante pour les émissions dans l’air (notamment des substances toxiques et cancérigènes) et 400 catégories de déchets dangereux".
Compte tenu des enjeux, on aimerait connaitre les "
nombreuses raisons" pour lesquelles "
un tel registre ne peut être exhaustif".
Les rejets industriels émis après traitement ou pré-traitement au sein de l’établissement vont soit dans le milieu naturel (rejets directs), soit dans une station d’épuration collective (rejets indirects) pour les établissements industriels raccordés.
Eau-Evolution ne s’intéresse ici qu’au sous-ensemble de données qui concernent les micropolluants, et les a classées en substances chimiques de synthèse (pesticides, HAP et autres substances organiques) ou en métaux (au sens large). Les rejets ont été sommés par substance ou groupe de substances, par année et par type de rejet, direct ou indirect.
La qualité des données ne permet pas de comparer les chiffres d’une année sur l’autre ni d’effectuer des cumuls : les résultats ci-dessous ne valent donc que pour se faire une idée de l’ordre de grandeur de ces rejets.
Le nombre d’établissements pris en compte
Le tableau ci-dessous présente la progression annuelle du nombre d’établissements pour lesquels on a des déclarations disponibles, c’est-à-dire avec au moins un rejet déclaré dans l’eau, direct ou indirect :
__Année__ | __Tous macro et micropolluants__ | __HAP__ | __Pesticides__ | __Autres synthétiques__ | __Métaux__ |
2003 | 1138 | 7 | 17 | 137 | 317 |
2004 | 1080 | 7 | 27 | 183 | 374 |
2005 | 1184 | 15 | 27 | 178 | 398 |
2006 | 1169 | 13 | 34 | 166 | 391 |
2007 | 2006 | 78 | 66 | 288 | 1355 |
Ce nombre progresse fortement en 2007, particulièrement pour les métaux qui sont les rejets de micropolluants qui concernent le plus d’établissements.
Les rejets annuels
Tonnages annuels de métaux

La quantité de métaux rejetée déclarée, tous métaux confondus, est d’environ 100000 t/an. La qualité des données ne permet pas de présenter les cumuls sur plusieurs années. Ces cumuls seraient pourtant particulièrement pertinents pour évaluer correctement la pression des métaux sur les cours d’eau et les mers.
Tonnages annuels de substances synthétiques

La quantité de substances de synthèse rejetée déclarée, toutes substances confondues, est d’environ 1000 t/an. Là aussi, la qualité des données ne permet pas de présenter les cumuls sur plusieurs années.
Proportions entre rejets directs et indirects

On constate que la grande majorité des quantités de métaux rejetée se fait par voie directe.
Pour les substances synthétiques, la proportion des rejets directs est d’environ 80 % des quantités rejetées.
Les rejets maximaux par substance et par établissement entre 2003 et 2007
Ci-dessous, le détail des 69 substances (micropolluants) ou groupes de substances pour lesquelles un rejet a été déclaré entre 2003 et 2007, avec le rejet maximum annuel de la substance pour un même établissement sur cette période (la plupart de ces rejets sont directs, dans le cas contraire cela est précisé au cas par cas) :
- HAP : Anthracène 44 kg/an, Benzo[a]pyrène (benzo[d-e-f]chrysène) 10,3 kg/an, Fluoranthène 2 100 kg/an (raccordé), Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) 3 690 kg/an
- Pesticides : 1-2-dibromoéthane (dibromure d'éthylène) 4 kg/an, Alachlore 0,14 kg/an, Aldéhyde formique (formaldéhyde) 49 000 kg/an, Atrazine 2,4 kg/an, Chlorfenvinphos 0,00025 kg/an (raccordé), Chlorpyriphos 0,5 kg/an, Diuron 18 kg/an, Endosulfan 0,6 kg/an, Epichlorhydrine (1-chloro-2-3-époxypropane) 1 110 kg/an, Hexachlorobenzène (HCB) 9,9 kg/an, Hexachlorocyclohexane (HCH) 174 kg/an, Isoproturon 19 kg/an, Naphthalène 960 kg/an, Pentachlorobenzène 0,004 kg/an, Pentachlorophénol (PCP) 10,4 kg/an, Simazine 2,4 kg/an, Trifluraline 0,0013 kg/an (raccordé)
- Autres substances synthétiques : 1-2-dichloroéthane (DCE-chlorure d'éthylène) 2 270 kg/an (raccordé), 1-4-dioxane 10 000 kg/an, 3-3'-dichlorobenzidine 28 kg/an, Acrylonitrile 3 600 kg/an, Aniline 5 430 kg/an, Benzène 6 200 kg/an, Benzène-toluène-éthylbenzène-xylènes (BTEX) 20 000 kg/an, Chloroalcanes (C10-13) 1,6 kg/an, Chloroforme (trichlorométhane) 7 200 kg/an, Chlorure de vinyle (chloroéthylène-monochlorure de vinyle-CVM)) 1 000 kg/an, Composés organohalogénés (AOX) 99 000 kg/an, Crésol (mélange d'isomères) 50 kg/an, Di(2-éthylhexyle)phtalate (DEHP) 833 kg/an, Dichlorométhane (DCM-chlorure de méthylène) 23 200 kg/an, Dioxines et furanes (PCDD + PCDF) (exprimés en iTeq) 0,0005 kg/an, Diphénylethers bromés 0,022 kg/an (raccordé), Hexachlorobutadiène (HCBD) 38 kg/an, Hydrazine 4 500 kg/an, Hydrocarbures (C total) 550 000 kg/an, Nonylphénols 15 000 kg/an (raccordé), Octylphénols 0,5 kg/an, Oxyde de propylène (1-2 époxypropane) 2 100 kg/an, Oxyde d'éthylène (oxiranne) 3 100 kg/an, Phénols (Ctotal) 74 900 kg/an (raccordé), Sulfate de diméthyle 12 000 kg/an, Sulfure de carbone 27 900 kg/an, Tétrachloroéthylène (PER-perchloroéthylène) 2 700 kg/an, Tétrachlorure de carbone (TCM-tétrachlorométhane) 250 kg/an, Tributylétain et composés 11 kg/an, Trichlorobenzènes (TCB) 1 800 kg/an, Trichloroéthylène (TRI) 73 000 kg/an
- Métaux : Aluminium et ses composés (Al) 24 000 000 kg/an, Antimoine et ses composés (Sb) 310 kg/an, Arsenic et ses composés (As) 2 400 kg/an, Béryllium (glucinium) 0,1 kg/an, Cadmium et ses composés (Cd) 430 kg/an, Chrome et ses composés (Cr) 590 000 kg/an, Chrome hexavalent et ses composés 9 800 kg/an, Cobalt et ses composés (Co) 4 400 kg/an, Cuivre et ses composés (Cu) 13 000 000 kg/an, Etain et ses composés (Sn) 6 930 kg/an, Fer et ses composés (Fe) 98 000 000 kg/an, Manganèse et ses composés (Mn) 180 000 kg/an (raccordé), Mercure et ses composés (Hg) 308 kg/an, Nickel et ses composés (Ni) 28 000 000 kg/an, Plomb et ses composés (Pb) 21 000 kg/an, Titane et ses composés (Ti) 17 400 000 kg/an, Zinc et ses composés (Zn) 1 200 000 kg/an
Comment de tels niveaux de rejets de matière première par établissement, même s’ils respectent les valeurs limites d’émission (pH, température, débits, concentrations, flux), peuvent-ils être encore autorisés après 2000 ? La question se pose particulièrement pour certaines substances synthétiques persistantes et pour les métaux qui vont se fixer sur les MES et les sédiments et s’accumuler dans les mers au rythme des crues annuelles.
La composition des rejets détaillée par substance en 2007
En 2007, les rejets ponctuels totaux étaient de 100817 tonnes de métaux (dont 457 tonnes raccordés) et de 955 tonnes de substances synthétiques (dont 200 tonnes raccordés).
Les rejets raccordés de métaux (0,4%) se retrouvent sans doute en grande partie dans les boues des stations d’épuration collectives. Ce n’est pas forcément le cas pour les substances synthétiques raccordées (21%) qui ne sont en outre que peu dégradées lors de leur passage dans des stations d’épuration collectives non équipées pour les éliminer spécifiquement, et qui se retrouvent a priori donc en grande partie dans les cours d’eau (La part de contamination toxique des boues des stations d’épuration collectives due aux rejets des établissements industriels classés est estimée pour 2004 dans
Aperçu de la pression sur la ressource en eau (2) : Qualité générale).
Ci-dessous donc le détail des 57 substances (micropolluants) ou groupes de substances pour lesquelles un rejet a été déclaré en 2007, avec le rejet total (direct + raccordé) correspondant :
- HAP : Anthracène 1,8 kg, Benzo[a]pyrène (benzo[d-e-f]chrysène) 19,6 kg, Fluoranthène 40,6 kg, Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) 66,2 kg
- Pesticides : Alachlore 0,2 kg, Aldéhyde formique (formaldéhyde) 3 160 kg, Atrazine 0,9 kg, Chlorfenvinphos 0,0004 kg, Chlorpyriphos 0,7 kg, Diuron 26,3 kg, Endosulfan 0,6 kg, Hexachlorobenzène (HCB) 2,2 kg, Hexachlorocyclohexane (HCH) 195,7 kg, Isoproturon 7,3 kg, Naphthalène 735,9 kg, Pentachlorobenzène 0,004 kg, Pentachlorophénol (PCP) 0,1 kg, Simazine 2,5 kg, Trifluraline 0,003 kg
- Autres substances synthétiques : 1-2-dichloroéthane (DCE-chlorure d'éthylène) 3 783,3 kg, Aniline 7 840 kg, Benzène 7 971,5 kg, Benzène-toluène-éthylbenzène-xylènes (BTEX) 15 915 kg, Chloroforme (trichlorométhane) 3 955,2 kg, Chlorure de vinyle (chloroéthylène-monochlorure de vinyle-CVM)) 672 kg, Composés organohalogénés (AOX) 491 430 kg, Di(2-éthylhexyle)phtalate (DEHP) 1 049,4 kg, Dichlorométhane (DCM-chlorure de méthylène) 73 127,7 kg, Dioxines et furanes (PCDD + PCDF) (exprimés en iTeq) 0,001 kg, Diphénylethers bromés 0,04 kg, Hexachlorobutadiène (HCBD) 41,9 kg, Hydrazine 172 kg, Hydrocarbures (C total) 218 600 kg, Nonylphénols 56,9 kg, Octylphénols 0,6 kg, Oxyde d'éthylène (oxiranne) 40 kg, Phénols (Ctotal) 120 707,2 kg, Tétrachloroéthylène (PER-perchloroéthylène) 2 831,9 kg, Tétrachlorure de carbone (TCM-tétrachlorométhane) 204,3 kg, Tributylétain et composés 0,1 kg, Trichlorobenzènes (TCB) 1 586,3 kg, Trichloroéthylène (TRI) 1 289,1 kg
- Métaux : Aluminium et ses composés (Al) 19 584 240 kg, Arsenic et ses composés (As) 3 230 kg, Cadmium et ses composés (Cd) 1 602 kg, Chrome et ses composés (Cr) 479 137 kg, Chrome hexavalent et ses composés 515 kg, Cobalt et ses composés (Co) 1 242 kg, Cuivre et ses composés (Cu) 58 853 kg, Etain et ses composés (Sn) 6 653 kg, Fer et ses composés (Fe) 79 834 280 kg, Manganèse et ses composés (Mn) 291 158 kg, Mercure et ses composés (Hg) 707 kg, Nickel et ses composés (Ni) 32 895 kg, Plomb et ses composés (Pb) 15 620 kg, Titane et ses composés (Ti) 247 352 kg, Zinc et ses composés (Zn) 259 869 kg
Si on enlève le Fer (79,8 milliers de tonnes), encore que les rejets paraissent très élevés pour ne pas avoir d’impact, tous les autres métaux sont potentiellement toxiques ou très toxiques.
Notons en particulier, les rejets de 19,6 milliers de tonnes d’Aluminium, et de 1,1 milliers de tonnes partagés entre, dans l’ordre décroissant des quantités, Chrome, Zinc, Titane, Cuivre, nickel, Plomb, Etain, Arsenic, Cadmium, Cobalt et Mercure.
Quant aux substances synthétiques, elles sont toutes potentiellement toxiques ou très toxiques. On peut s’étonner qu’il y ait, en 2007, des rejets de Simazine ou d’Atrazine.
Gardons aussi en mémoire que toutes ces quantités sont sous-estimées par rapport à la réalité.
La qualité des données
Les noms des substances sont peu précis et certaines sont plus ou moins agrégées, si bien qu’elles ne sont pas facilement accessibles. Eau-Evolution a conservé pratiquement telle quelle la nomenclature des substances ou groupes de substances trouvée dans les données.
On ne connait pas l’ampleur de la sous-évaluation des quantités rejetées réellement dans les eaux :
- Combien d’établissements ne sont pas pris en compte parce qu’en-dessous du seuil de déclaration ? Et surtout quelles quantités par substance cela représente ?
- Combien de déclarations manquantes parmi les établissements au-dessus des seuils de déclaration ? Et surtout quelles quantités par substance cela représente ?
- Toutes les substances ne sont pas prises en compte : seulement 100 polluants. Le Bisphénol A par exemple, que l’on trouve dans l’eau des cours d’eau, ne fait pas partie des substances recensées depuis 2003. Quelles quantités d’autres substances cela représente ?
Certains champs, pourtant essentiels pour la protection de l’environnement, comme le nom du milieu récepteur du rejet sont très peu ou très mal renseignés (il n’y a pas de codes hydrologiques non plus) :
Sur 3092 identifiants de rejets, seuls 395 ont un champ "nommilieu" renseigné. Pour ce champ, au lieu d’avoir au moins le nom de la masse d’eau douce ou côtière dans laquelle s’effectue le rejet, on a des renseignements peu explicites et parfois confus, voire loufoques, avec même des contradictions apparentes avec le "libellerejet" sensé préciser si le rejet est direct ou raccordé.
Ces données sur le nom du milieu récepteur sont inexploitables, par leur absence comme par leur présence, mais elles sont amusantes. Cette dernière particularité est rarement le cas pour les données sur l’eau et mérite donc quelques illustrations :
On trouve par exemple des rejets directs dans "Unitaire urbain" ou dans "DEGREMONT" ; Et des rejets indirects dans "CGE" ou dans "Milieu naturel".
La précision des renseignements peut surprendre : "E" ou "Milieu naturel" ou "Mer" ou "Méditerranée" ou "Océan indien" ; Avec parfois une note bucolique, comme pour ces deux rejets indirects, l’un dans "Une combe puis La loue et l'Audeux", l’autre dans "Milieu Naturel contre fossé du canal de St Quentin".
Sur les 395 "nommilieu" renseignés, on arrive à en repérer une quarantaine qui pourraient avoir lieu en mer, ce qui ferait de 90% à 99% des rejets en cours d’eau, selon que l’on considère l’échantillon donc le milieu de rejet est renseigné ou l’échantillon total des rejets.
Il semblerait donc que les données publiques sur les rejets industriels ne reflètent pas le niveau technique de l’industrie française. On peut aussi se demander comment, comme précisé sur le site de l’IREP : "
Ces données sont notamment utilisées par l’administration dans les diverses actions de réduction des pollutions qui sont engagées par l’inspection des installations classées".
La pollution diffuse par les pesticides agricoles en France
Un indicateur indirect de la pression par les pesticides est la proportion de la SAU (surface agricole utilisée) dédiée à l’agriculture biologique : les superficies existantes et en cours de conversion en 2007 ne représentent que 2% de la SAU totale (voir
Aperçu de la pression sur la ressource en eau (2) : Qualité générale).
On dispose de données publiques qui décrivent les quantités de pesticides commercialisées chaque année en France métropole.
Ces quantités sont destinées aux usages agricoles et représentent sans doute environ 90% de l'ensemble des quantités commercialisées. Elles sont exprimées en quantités de matières actives, donc compte non tenu des supports, solvants, diluants et adjuvants (poudres minérales, alcools, huiles, etc.).
Les quantités commercialisées ne sont pas forcément les quantités utilisées la même année. Il peut y avoir des écarts significatifs selon les années. Notamment pour les stockages réalisés en anticipation de la
TGAP (Taxe Générale sur les Activités Polluantes) appliquée à partir du 1 janvier 2000.
Les données publiques disponibles actuellement ne permettent pas de chiffrer la pression réelle, ni par substance, ni par bassin versant de rivière, ni par bassin versant hydrogéologique. Ce sont néanmoins les données chimiques pour lesquelles l’historique dont on dispose est le moins squelettique et le moins inexploitable.
Graphique des ventes annuelles

Les quantités de cuivre et de soufre ont baissé ces dernières années et sont d’environ 20000 t/an, cuivre et soufre confondus.
Les quantités récentes de substances synthétiques sont d’environ 60000 t/an depuis 2000, et sont équivalentes à celles des années 1992 à 1995. Les quantités élevées des années juste avant 2000, et au moins pour 1999, sont vraisemblablement à mettre sur le compte d’un stockage pour anticiper de la mise en application de la TGAP.
Parmi les pesticides de synthèse, dans l’ordre décroissant des quantités vendues, on trouve les herbicides, les fongicides, puis les insecticides et les autres substances (nématicides, molluscicides, corvicides, etc).
Graphique des ventes cumulées
Si on s’intéresse à l’impact potentiel des pesticides sur la ressource en eau, on ne peut pas se contenter de chiffrer les apports annuels. Il faut absolument prendre aussi en compte dans la pression le cumul de ces substances, soit parce qu’elles ont entrainé une disparition ou une adaptation des communautés vivantes, soit parce qu’elles sont persistantes :
Les pesticides de synthèse, comme tous les autres micropolluants, ne disparaissent généralement pas d’une année sur l’autre des milieux naturels (eau, sol et air). On trouve encore par exemple, dans les eaux, les particules des milieux aquatiques ou les sols, de l’Atrazine (interdite en 2003), du Lindane (interdit en 1998), du Chlordécone (interdit en 1990/93) ou même du DDT (interdit en 1973), etc.
Ce caractère persistant concerne aussi leurs nombreux produits de dégradation et métabolites que l’on ne connait souvent même pas.

Ce graphique permet de voir le cumul sur le nombre d’années que l’on souhaite.
Le cumul depuis 1990 des quantités commercialisées de pesticides de synthèse est de 1255300 tonnes.
Potentiel de contamination
Que représentent les chiffres ci-dessus au niveau des pressions potentielle ou réelle sur la ressource en eau ? C’est ce que l’on va essayer de voir, sur les exemples de la ressource en eau renouvelable et du stock des eaux souterraines.
Le flux annuel des eaux renouvelables correspond au bilan des apports pluviométriques nets (pluie moins évapotranspiration) corrigé par le bilan des flux entrants et sortant par les rivières. Ce volume qui se renouvelle chaque année représente le potentiel maximal de ressource en eau et ne peut, sauf à causer des préjudices quantitatifs, être exploité qu’en faible partie. Il est de 186293 millions m
3/an.
Le stock des eaux souterraines de la France est d’environ 2000 milliards de m
3, soit 10 fois supérieur.
Mais ce stock ne peut largement pas être exploité dans son intégralité : la part exploitable dépend du niveau auquel les nappes peuvent être rabattues sans causer de préjudices quantitatifs significatifs et de leur capacité à se renouveler. Cette part peut être très faible.
Pour calculer le potentiel de contamination annuel, on a supposé que toutes les quantités épandues partaient dans l’eau et que ni les molécules mères, ni leurs métabolites ne se dégradaient totalement, c’est-à-dire jusqu’à élimination complète sous forme de composés inorganiques.
Dans ces conditions, la quantité de pesticides de synthèse déversée chaque année dans la nature pourrait rendre toute la ressource en eau renouvelable non potable, et avec un dépassement de 644 fois la norme eau potable pour la somme des pesticides (0,5 µg/L).
Ou encore pourrait rendre tout le stock des eaux souterraines non potable, et avec un dépassement de 60 fois la norme eau potable pour la somme des pesticides (0,5 µg/L).
Si l’on s’en réfère aux concentrations trouvées dans les eaux (voir par exemple
les articles Eau-Evolution sur le sujet), le potentiel de contamination des eaux s’actualise pour environ 0,5 % en contamination réelle des eaux superficielles ou souterraines.
Le document du Cemagref
Sur la trace des pesticides précise de même : "
En général, moins de 1 % des produits phytosanitaires épandus passent dans les écoulements d’une parcelle agricole, annoncent de concert Paul Bordenave à Rennes et Véronique Gouy à Lyon. À l’échelle du bassin versant, ce qui est retrouvé dans le cours d'eau ne dépasse pas 0,5 % des quantités appliquées. Souvent, c’est même 0,1 % des pesticides qui passe dans la rivière. Mais cela est bien suffisant pour contaminer les milieux aquatiques".
Mais où passent donc les 99,5 % des pesticides de synthèse épandus ?
En dehors de la part très variable qui part directement dans les eaux, l’atmosphère, ou est exportée avec les végétaux cultivés, tout le reste se retrouve finalement dans les sols, à des profondeurs plus ou moins importantes.
Une fois dans les sols, et jusqu’à ce qu’ils quittent ce compartiment complètements dégradés ou pour passer dans les eaux souterraines, les pesticides entrent dans des processus de rétention/dégradation dont la durée est très variable selon les molécules, les sols et les conditions climatiques.
Selon le document de la Fao,
Évaluation de la contamination des sols, Manuel de référence : "
En règle générale, la dégradation d'un composé est considérée comme terminée après une période égale à cinq fois la demi-vie de ce produit."
Si la demi-vie dans le sol (DT
50) d’un pesticide est d’environ 6 mois, ce qui est à la louche l’ordre de grandeur pour les substances récentes, il faut donc attendre environ trois ans pour qu’il disparaisse complètement, mais attention, en tant que molécule mère seulement. Car la DT
50 des produits de dégradation peut être beaucoup plus élevée. C’est par exemple le cas de l’Aldrine dont la DT
50 est de 20 à 100 jours : elle se dégrade principalement en Dieldrine dont la DT
50 passe à plus de 7 ans (
même document).
Les substances qui ont traversé les horizons superficiels des sols ou qui sont déjà arrivées dans les eaux souterraines se retrouvent dans des environnements anoxiques et ne peuvent pratiquement plus se dégrader par la voix biologique. Leurs temps de séjour s’allongent alors de façon importante, jusqu’à atteindre plusieurs décennies.
Seule une dégradation complète des molécules mères et de leurs métabolites constitue une élimination réelle des milieux naturels. Il séjourne donc en permanence dans les sols une espèce de ratatouille chimique de pesticides (molécules mères et métabolites) accumulés et transformés sur une durée réelle inconnue, sans compter les métaux lourds, hydrocarbures, etc.
Le problème, c’est que l’on est incapable de chiffrer cette ratatouille et encore moins sa biodisponibilité !
Car il n’y a pas de banque de données sur la teneur en pesticides des sols agricoles.
Cela signifie que l’on a autorisé une pollution généralisée des milieux naturels par des biocides dont on ne connaissait pas le comportement réel et pire, sans mettre immédiatement en place de banque de données sur la contamination des sols agricoles. Et que dire du sérieux de ces décisions qui fixent (au
pilfastron ?) des objectifs de réduction peut être dramatiquement insuffisants puisqu’il manque l’essentiel des données de risque !
On ne peut rester indifférent à ces quelques remarques de l’Inra dans
Pesticides, agriculture et environnement : rapport d'expertise :
"
Il n'existe pas de dispositif équivalent à ceux relatifs à l’eau et à l’air pour la caractérisation de la contamination des sols par les pesticides, que ce soit en France ou dans les autres pays d'Europe.
La pollution chronique par les substances minérales (cuivre) et l'existence, pour certaines substances, de résidus non extractibles pose la question du risque environnemental à long terme, notamment dans le cas d'une réallocation des terres agricoles à d'autres usages.
Un état des lieux sur la charge en pesticides des sols agricoles permettrait sans doute :
- de savoir à quelle échelle de temps un sol agricole peut être reconverti en autre chose qu'une terre cultivée
- de faciliter la mise en place de l'approche comparative évoquée dans le Plan interministériel sur les phytosanitaires
- de faciliter les débats sur les indicateurs qu'il convient de développer (indicateurs de qualité versus indicateurs écologique)
- d’évaluer l'accumulation de substances qui à terme peuvent être transférées à d'autres milieux ou avoir des impacts sur différents compartiments biologiques, voire sur la santé humaine."
Les chiffres présentés dans les graphiques ci-dessus donnent une idée du stock énorme de pesticides (molécules mères et métabolites) potentiellement retenus dans les sols, même si on calcule ce stock sur une durée hypothétique de seulement 5 ans.
Non seulement on ne connait pas ce stock, mais nul ne connait l’impact du changement climatique (températures et conditions hydrologiques) sur la biodisponibilité des substances toxiques, sur la capacité des microorganismes du sol à s’adapter et à dégrader les cocktails toxiques (Pesticides, HAP, métaux lourds, radioéléments, etc.) et sur les quantités transférées dans les eaux souterraines.
Par ailleurs, compte tenu des doses cumulées appliquées, on n’est pas à l’abri de phénomènes de saturation, et ce d’autant plus que la matière organique présente dans les sols agricoles diminue.
Quelle que soit la quantité de pesticides qui reste en permanence présente dans les sols et les eaux, une grande partie des quantités déversées depuis des décennies (1255300 t depuis 1990) a déjà été, au moins en partie, dégradée par des processus physiques mais surtout biologiques. Et cela implique des impacts certains, peut être irréversibles, sur les communautés vivantes des sols et des eaux superficielles, qu’elles aient disparu ou qu’elles aient évolué pour s’adapter spécifiquement à telle ou telle molécule.
La contamination des sols agricoles (220 mg/m
2 de matières actives synthétiques chaque année, 4,6 g/m
2 pour le cumul de 1990 à 2008) constitue donc
une véritable bombe à retardement pour la contamination des eaux souterraines et pour l’avenir de ces sols. L’Inra signale d’ailleurs dans
Pesticides, agriculture et environnement : rapport d'expertise : "
La contamination des sols par différentes substances, dont les pesticides, a été reconnue comme l'une des principales menaces qui pèsent sur les sols européens."
Outre de ne plus disposer d’eau potable sans coûts de traitement prohibitifs, nos descendants risquent de ne plus disposer que de sols agricoles stérilisés qu’ils pourront à juste titre appeler non pas
Terra preta, mais Terra égoista !
Le prix à payer pour nous permettre notre mode de vie moderne
Quelques chiffres à la louche et très globaux, uniquement pour avoir des ordres de grandeur.
On a vu ci-dessus que la nature payait le prix fort, avec des impacts peut être parfois irréversibles sur les sols, l’air, l’eau et
la biodiversité. Qu’un cocktail de ces substances perturbe la reproduction ou simplement le fonctionnement hyper sophistiqué et délicat du battement des cils des unicellulaires aquatiques, et ce sont beaucoup d’espèces qui disparaissent avec des perturbations potentielles sur l’ensemble de la chaîne alimentaire (voir
Les êtres vivants microscopiques de l’eau (1) et (2)).
Pour les "60 millions de consommateurs", le calcul est vite fait : 60 millions de kg de pesticides de synthèse par an (matières actives), cela représente 1 kg déversé dans le milieu naturel par citoyen et par an ! En réalité, ½ million d’exploitants agricoles se chargent pour nous d’en déverser 120 kg par exploitation chaque année.
Ils le payent d’ailleurs, et sans doute plus que le reste de la population, sur le plan de
la santé. Quelques extraits du document
Agriculteurs et cancer le risque des pesticides :
"
Le pouvoir cancérigène de ces pesticides est mal identifié. Les effets sur la santé sont bien connus pour les intoxications aiguës, mais mal connus pour les expositions modérées ou prolongées. Trois effets potentiels ont déjà été identifiés par des études épidémiologiques : cancers, troubles neurologiques chroniques et troubles de la reproduction."
"
Les agriculteurs semblent plus touchés par certains cancers…: hémopathies malignes (leucémies, lymphomes malins, myélomes…), cancers cutanés, sarcomes des tissus mous, cancers de la prostate, cancers gastriques et cancers cérébraux."
Résultats de l’étude Céréphy : "
La population étudiée concernait la Gironde, une région agricole utilisant de grandes quantités de pesticides : 221 personnes de 16 ans et plus atteintes de tumeurs cérébrales ; 442 témoins indemnes de tumeur cérébrale, tirés au sort en Gironde. Selon les résultats déjà obtenus, les sujets les plus exposés professionnellement aux pesticides ont 2,6 fois plus de risque d'être atteint de tumeur cérébrale (parmi les tumeurs cérébrales, le risque de développer un gliome est multiplié par 3,2). Par ailleurs, les sujets déclarant traiter régulièrement les plantes d'intérieur ont un risque 2,6 fois plus élevé : des analyses complémentaires sont en cours pour expliciter ces résultats".
Le prix à payer se chiffre aussi sur
les prix d’achat, pour les exploitants et indirectement pour nous qui achetons leur production : chaque exploitation agricole, si on se base sur le CA des ventes 2008 (2079 Millions €), dépense environ 4000 €/an pour ses pesticides (pesticides de synthèse, cuivre et soufre).
CONCLUSION
Et si on comparait les impacts potentiels dans les cours d’eau des rejets diffus agricoles et des rejets ponctuels industriels ?
Selon les données de l’IREP, les ordres de grandeur des rejets de substances synthétiques dans les cours d’eau de France métropole sont d’environ 1000 t/an de substances synthétiques et 100 000 t/an de métaux (les quantités indiquées par les données disponibles concernent en grande majorité la métropole).
On se contentera de ces ordres de grandeur car, dans l’état actuel des données disponibles, on ne peut chiffrer ni les rejets qui vont directement dans la mer, ni la part des rejets indirects qui serait éliminée par les stations collectives, ni les rejets réels qui concerneraient l’ensemble des établissements et l’ensemble des substances.
Ces 1000 t/an de rejets de substances synthétiques paraissent dérisoires devant la pression occasionnée par l’épandage de 60000 t/an de pesticides de synthèse.
Mais les 1000 t/an sont déversées directement dans les cours d’eau, alors que les 60000 t/an sont épandues sur les cultures.
Pour chiffrer les quantités de micropolluants synthétiques qui arrivent réellement dans les cours d’eau, il faut donc comparer les 1000 t/an des rejets ponctuels industriels avec, non pas 60000 t/an, mais 300 t/an pour des apports diffus agricoles (0,5% de 60000 t). L’ordre de grandeur devient donc identique !
Pour les métaux, les apports diffus agricoles se chiffrent à 20000 t/an (Cuivre et Soufre), tandis que les rejets industriels dans les cours d’eau se chiffrent à 100000 t/an (Soufre non compris). Même si on ne connait pas la part de cuivre agricole qui arrive dans les cours d’eau, l’ordre de grandeur est nettement déséquilibré vers le secteur industriel.
La ressource en eau renouvelable arrive en grande partie vers la mer (environ 90%) par l’ensemble du réseau hydrographique superficiel (pour le vérifier, on peut effectuer la somme des modules fournis par la
banque HYDRO pour tous les grands cours d’eau). Le reste arrive par les écoulements souterrains. Sur cette base, on peut alors estimer la pression réelle sur les cours d’eau, en approximant, pour les pesticides agricoles, les apports dans les cours d’eau à 0,5% de 60000 t.
Le graphe suivant présente les concentrations prévisibles moyennes dans les cours d’eau pour les rejets industriels de 2007 en France métropole :

La concentration prévisible pour le total des pesticides est de 1,8 µg/L de façon globale, mais si on considère qu’ils sont majoritairement épandus sur la SAU, elle devient d’environ 3,6 µg/L en moyenne pour les cours d’eau agricoles.
La concentration moyenne prévisible pour les substances de synthèse (substances anthropiques) rejetées par l’industrie est de 5,6 µg/L, dont 2,9 µg/L pour les composés organohalogénés (AOX), 1,2 µg/L pour les hydrocarbures et 0,6 µg/L pour les phénols.
Dans les cours d’eau, la pollution métallique provient essentiellement du secteur industriel. Mais pour les substances chimiques de synthèse, toutes substances confondues et d'un point de vue strictement patrimonial, les secteurs agricole (pollution diffuse) et industriel apparaissent tout autant responsables de la contamination des cours d’eau.
C’est bien entendu un constat global qui ne tient pas compte de la répartition géographique des rejets agricoles diffus et industriels, ni du cumul des rejets d’une année sur l’autre. Mais cela permet d’avoir des ordres de grandeurs pour les moyennes et pour les concentrations maximales qui peuvent être beaucoup plus élevées.
Une fois arrivés dans les cours d’eau, les substances synthétiques agricoles ou industrielles vont plus ou moins se dégrader et se transformer en métabolites parfois très persistants pour finir par s’accumuler, avec les métaux, dans les MES, les sédiments et les organismes vivants des eaux douces et marines.
Les concentrations réelles sont effectivement du même ordre de grandeur que les prévisions. A titre d’illustration, Eau-Evolution propose les articles suivants qui décrivent les valeurs quantifiées récemment respectivement dans l’eau, les MES ou les sédiments de quelques cours d’eau plus ou moins importants :
- Tous les articles de la rubrique Micropolluants chimiques
- Pour l’eau du Rhin, de la Seine, de la Loire, de la Garonne et du Rhône : La qualité de la recherche récente des substances chimiques dans les cours d’eau (9) : les valeurs maximales quantifiées pour une sélection de 252 substances sur la période 1998 à 2008 [Annexe]
- Pour les MES de la Somme, de l’Escaut, de la Meuse, de la Moselle, du Rhin, du Rhône, de l’Adour, de la Garonne, de la Dordogne, de la Charente, de la Loire, de la Vilaine et de la Seine : La contamination chimique des sédiments et des matières en suspension en aval de 13 grands cours d’eau (4) : éléments de comparaison des teneurs maximales quantifiées dans les matières en suspension pour la période 2000 à 2008 [Annexe]
- Pour les sédiments de la Somme, de l’Escaut, de la Meuse, de la Moselle, du Rhin, du Rhône, de l’Adour, de la Garonne, de la Dordogne, de la Charente, de la Loire, de la Vilaine et de la Seine : La contamination chimique des sédiments et des matières en suspension en aval de 13 grands cours d’eau (3) : éléments de comparaison des teneurs maximales quantifiées dans les sédiments pour la période 2000 à 2008 [Annexe]
Le fait que les rejets industriels de substances de synthèse soient autant responsables de la contamination chimique des cours d’eau que les pesticides ne doit cependant pas occulter la contamination de la majorité des sols et des nappes phréatiques agricoles par ces derniers.
Dans le même ordre d’idée, les pesticides ne sont pas non plus les seuls responsables de la contamination des sols (PCB, hydrocarbures, etc.) et des nappes souterraines (voir par exemple
La "nappe alluviale de la Saône" au puits de Beauregard : aperçu de la contamination chimique de l’eau). Mais pour comparer de la même façon la pression des rejets industriels et des pesticides sur les sols et les eaux souterraines, il faudrait d’abord connaitre les quantités provenant des apports industriels sur les sols, directement et par les retombées atmosphériques. Si quelqu’un sait où sont ces données, qu’il le fasse savoir !
Quant aux toxicités réelles in situ de toutes ces substances, qui sait seulement ce que peut donner à long terme l'association d'hydrocarbures et de métaux avec d'autres substances synthétiques, qu'elles soient ou non des pesticides ?
Les rejets ponctuels sont encore plus inacceptables que les apports diffus, car ils sont traitables à la source, ce n’est qu’une question financière. Non seulement ces substances ont des impacts conséquents et durables sur les milieux aquatiques, mais en plus, elles en sont pas recyclées, ce qui parait de nos jours tout à fait aberrant, en particulier pour les métaux !
Ces quelques chiffres montrent qu’il ne suffira largement pas d’agir sur les pesticides pour diminuer la toxicité des eaux. La contamination actuelle des eaux, des MES et des sédiments n’étant pas acceptable du point de vue de la toxicité comme du point de vue patrimonial, il faudrait absolument revoir les fondements de la réglementation actuelle sur les rejets des ICPE.
Dans l’idéal, sachant qu’ils finissent tôt ou tard par s’accumuler dans l’un ou l’autre des compartiments des milieux aquatiques, tous les rejets toxiques devraient être interdits. En attendant, il faudrait au moins abaisser les seuils fixés par les règlements actuels et les compléter par une réglementation intersectorielle des pollutions. Cela pourrait être un droit annuel à contaminer les eaux et les sédiments de la mer et des cours d’eau, pour les pesticides agricoles (sur la base de 0,5% ou 1% des quantités arrivant dans les cours d’eau) comme pour les rejets industriels. Ce droit à contaminer serait établi par substance mais aussi pour les cumuls de substances, et serait forcément basé sur la ressource en eau renouvelable annuelle par petit bassin versant et la nature des eaux côtières réceptrices par grand bassin versant. Il serait alors réparti en quotas et concernerait l’ensemble des établissements polluants, qu’ils soient industriels ou agricoles, et qu’ils soient petits ou gros pollueurs.
Des données anachroniques en décalage choquant avec les enjeux
Eurostat nous fournit les chiffres de production de 168 substances répertoriées comme toxiques, agrégés pour l’Europe.
L’IREP répertorie moins de 100 toxiques, le chiffre 100 comprenant aussi les macropolluants. Tous les établissements ne sont pas pris en compte.
Pour les pesticides, on doit se contenter des tonnages agrégés de substances commercialisées en France métropole.
Ces données publiques ne sont en outre pas directement exploitables au niveau des milieux aquatiques récepteurs.
Métaux, Pesticides, HAP, PCB et toutes les autres substances synthétiques, sans compter les radioéléments, nanoparticules, perturbateurs endocriniens, et autres :
Les données publiques sur la pression chimique sont loin de refléter la réalité de tout ce qui arrive de façon diffuse ou ponctuelle, directe ou indirecte dans les eaux.
Mais qu’importe si on ne connait pas la pression réelle, puisque l’on ne mesure pas non plus la toxicité réelle ? Le bon état chimique vu par la Directive cadre sur l’eau ne prend en compte qu’une quarantaine de substances avec juste un "
suivi" pour les sédiments…
Le lecteur conclura de lui-même sur le sérieux de ces données avec l’article
Cote d'alerte sur la pollution des eaux du journal du Cnrs dont voici quelques extraits :
"
Les fleuves et les rivières contiennent des millions de tonnes de polluants formés des rejets chimiques de nos industries, de notre agriculture et de nos activités quotidiennes. Ce qui signifie que l'on y trouve de tout : des solvants, des nitrates, des phosphates, des détergents, des produits cosmétiques, des PCB, notamment dans le Rhône, des nanoparticules de carbone qui pourraient jouer le rôle de surfaces absorbantes et de "pièges" pour d'autres contaminants… la liste comprend aussi des substances pharmaceutiques : paracétamol, ibuprofène, anticancéreux, anti-cholestérol, anti-inflammatoires, pilule contraceptive…."
"
Nous voyons apparaître, dans de nombreux cours d'eau français, des phénomènes de féminisation des mâles chez certaines espèces de poissons (truite arc-en-ciel, gardon…), de gastéropodes, de grenouilles…, ainsi que des phénomènes d'immunotoxicité qui se traduisent par une diminution de l'efficacité du système immunitaire entraînant une sensibilité accrue aux agents infectieux."
"
Chaque année, ce sont en moyenne plus de 6 millions de tonnes de produits toxiques qui sont déversés dans la mer, des hydrocarbures aux métaux lourds en passant par les engrais et les pesticides charriés par les fleuves…
N'oublions jamais que, tôt ou tard, tout finit en mer et que cette dernière ne peut tout absorber…"
Note :
Pour Eau-Evolution, la catégorie des pesticides regroupe toutes les substances utilisées, ou ayant été utilisées autrefois, pour leur pouvoir biocide par les secteurs agricole mais aussi industriel et domestique. Le classement de certaines substances est difficile et souvent délicat. Une quinzaine de substances sur les 972 recensées ont d’ailleurs changé de catégorie avec mise à jour de l’index des substances depuis la rédaction de cet article (n-Butyl Phtalate, Butyl benzyl phtalate, Formaldehyde, etc.). Cela ne change en rien les résultats concernant les quantifications. Le lecteur est tout à fait libre de classer les substances dans la catégorie qui répond au mieux à ses interrogations. L’auteur rappelle que l’objectif premier de cette vitrine est de proposer des méthodes pour appréhender au mieux la réalité de la contamination chimique des milieux aquatiques. Les experts chimistes et toxicologues sont fortement invités à participer à l’amélioration de la pertinence de l’index des substances chimiques.
Création : 20 août 2009
Dernière actualisation :