Résumé : un exemple de réchauffement estival inquiétant de l’eau à cause du changement climatique, des aménagements des rivières et des activités humaines. L’impact sur la température de l’eau d'une filière nucléaire utilisant les eaux de rivières dans son système de refroidissement pourra-t-il être supportable dans les prochaines décennies ?
La température de l'eau est un facteur écologique de première importance pour les écosystèmes aquatiques. Il conditionne non seulement l'équilibre des communautés vivantes et le métabolisme de la plupart des organismes aquatiques (respiration et photosynthèse, reproduction, croissance, etc.) mais aussi la quantité d'oxygène dissous disponible pour ces organismes.
On peut lire sur le
site de Météo-France que le climat se réchauffe en France comme sur l'ensemble de la terre : "
L'augmentation des températures en France au cours du XXème siècle est de l'ordre de 1°C. Le réchauffement est légèrement plus marqué sur le Sud que sur le Nord du pays. La température a davantage augmenté en fin de nuit (température minimale) que le jour (température maximale). Les 10 années les plus chaudes du siècle sont toutes postérieures à 1988. Le réchauffement sur la France est un peu supérieur à celui observé à l'échelle de la planète (de l'ordre de 0,7°C). Cette différence s'explique par le fait que les océans qui couvrent 70% de la surface de la Terre se réchauffent moins vite que les continents".
Ce graphique trouvé sur le web, extrait du document "
Les conséquences du changement climatique à l'échelle régionale de M. Planton" et reproduit ici uniquement pour faciliter la compréhension de l'exposé, concerne tout particulièrement les températures estivales mesurées (en jaune) et simulées (en orange) pour les prochaines années :

La température moyenne de l'air en France a augmenté d'un degré environ depuis les vingt dernières années, un peu plus semble-t-il pour la température estivale, mais qu'en est-il de la température de l'eau ? Quel est l'impact réel du changement climatique sur cette température, et tout spécialement sur la température estivale de l'eau ?
Il se trouve que l'on a aussi beaucoup modifié la morphodynamique de nos cours d'eau ces dernières décennies, et qu'ils sont devenus le réceptacle final pour de nombreux rejets (stations d'épurations, centrales nucléaires, etc.) susceptibles de réchauffer les eaux. On ne peut donc, sauf à disposer de données ciblées de grande qualité, qu'espérer voir la résultante globale du changement climatique, des aménagements des rivières et des activités humaines.
Eau-Evolution a choisi une zone stratégique avec des données en amont et en aval d'une centrale nucléaire dont l'eau de rivière entre dans le système de refroidissement des réacteurs. Il s'agit de
la Garonne et de la
Centrale nucléaire de Golfech mise en service en avril 1990. Elle est alimentée grâce au
barrage de Malause, barrage au fil de l'eau mis en eau en 1973. Il y a en effet des données publiques de température de l'eau relativement nombreuses dans la Garonne en aval et dans le Tarn et la Garonne en amont de cette centrale.
Un des objectifs est de voir sur un exemple si l'évolution des températures de l'eau peut devenir problématique pour cette filière énergétique avec ce type de refroidissement.
D'autres enjeux sont liés à la température, dont la réintroduction de migrateurs dans la Garonne : une température élevée peut être un
facteur de mortalité important pour les saumons que l'on tente de réintroduire dans cette rivière.
Méthode
Les températures sur la Garonne sont mesurées en amont de la centrale nucléaire de Golfech à la
station de qualité de Verdun-sur-Garonne, et en aval à la
station de qualité de Lamagistère. Les températures sur le Tarn sont mesurées en amont de sa confluence avec la Garonne à la
station de qualité de Moissac.
Elles sont téléchargées à partir du site de téléchargement des données brutes du
portail de l'Agence de l'eau Adour-Garonne. On dispose de données depuis 1971 à nos jours (2005), avec environ une mesure par mois.

Au vu de cette configuration, on ne dispose d'aucune donnée de température sur le tronçon de la Garonne situé en aval de la confluence du Tarn et de la Garonne et en amont du complexe de la centrale et de la retenue de Malause. Il sera donc a priori difficile d'évaluer précisément l'impact thermique de ce complexe.
Les concentrations mensuelles sont plus faciles à représenter sur une aussi longue période que les concentrations ponctuelles. Eau-Evolution a choisi de présenter les concentrations mensuelles maximales plutôt que les concentrations mensuelles moyennes. Si un mois comporte par exemple deux mesures, la concentration maximale, qui peut très bien traduire la réalité des concentrations dans l'eau pendant la moitié du mois ou plus, reflète bien mieux (en particulier pour les organismes qui ne vivent pas longtemps mais qui sont à la base de la chaine alimentaire) l'impact potentiel sur la vie aquatique qu'une concentration moyenne sur le mois.
De façon générale, les moyennes sont à utiliser avec beaucoup de précaution, surtout lorsque l'on s'adresse à la nature. Un poisson, une algue ou un petit invertébré ne vit pas dans une qualité d'eau "moyenne". Un SDF ne meurt pas d'une température moyenne hivernale, une crue peut passer inaperçue dans un débit moyen, etc.
Par ailleurs, ce type de graphique permet de voir facilement si les données mensuelles existent ou pas pour les périodes qui correspondent aux minimum ou aux maximum des températures.
Les données sont traitées avec Excel 2007.
Résultats
Les chroniques des températures depuis 1971
Les minimum des températures hivernales étant mal mesurés, seuls les pics estivaux sont représentés ci-dessous (les échelles sont les mêmes pour les 3 stations de qualité et partent de 18°C). Les graphiques par saison (§ suivant) complètent de façon plus détaillée ces graphiques chronologiques.

Les pics des températures estivales semblent augmenter significativement, d'environ 3°C, depuis le début des années 90, et pour les trois stations. Les augmentations paraissent moins importantes à Verdun qu'à Moissac et à Lamagistère.
Les débits estivaux qui arrivent du Tarn et de la Garonne sur le barrage de Malause sont à peu prés équivalents, légèrement plus élevés pour la Garonne (source
banque HYDRO). Comme la température à Lamagistère est intermédiaire entre celle de Verdun et celle de Moissac, on ne peut donc pas conclure, au vu de ces seules données, que le complexe formé la retenue de Malause et la centrale de Golfech réchauffe effectivement l'eau. Seules les données issues des contrôles effectués en amont et aval immédiats de ce complexe peuvent le montrer. Ces données devraient être publiques puisque ce sont des données de l'environnement (voir l'article
Les grands textes sur l'accès à l'information et la participation du public en matière d'environnement).
Les températures par saison
Les graphiques suivants permettent d'avoir une meilleure appréciation des évolutions thermiques en différentiant celles-ci selon les saisons (pour une même saison, les échelles sont les mêmes pour les 3 stations de qualité).
Le printemps
L'été
L'automne

On constate que les températures augmentent régulièrement et de façon significative durant les deux dernières décennies, au printemps et surtout en été, périodes de vulnérabilité maximale pour le développement, la reproduction et la survie des espèces aquatiques.
Ces augmentations concernent les 3 stations, même si les températures restent dans l'absolu moins élevées à Verdun.
La mauvaise qualité des mesures
On ne dispose que rarement de plus d'une mesure par mois, si bien qu’il est impossible de cerner correctement les pics des températures.
Voici par exemple un zoom sur les données dont on dispose durant l'été caniculaire 2003 :

Ces données, comparées aux autres années, surtout pour Moissac et Verdun, sont dans la gamme des températures élevées, mais ne font pas de la température un des facteurs particulièrement explicatifs de la mortalité accrue des saumons durant cet été particulier : "
L'été 2003 marqué par la canicule a ainsi été particulièrement difficile pour les saumons".
Or on lit, sur le
site de l'ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) à propos de la Centrale de Golfech en 2003 : "
Les autorisations de rejets de la centrale limitent la température des rejets à 33°C et la température de la Garonne en aval du site à 28°C, le réchauffement maximal du fleuve devant être de 1,25°C en période estivale. Ces autorisations prévoient l'octroi possible de dérogations ponctuelles pour porter la température de la Garonne en aval des rejets jusqu'à 29°C dès lors que le réchauffement est limité à 1°C… Depuis le 5 août, la centrale de Golfech rencontre de nouvelles difficultés pour respecter ces dispositions du fait de la poursuite du réchauffement naturel progressif de la Garonne. La nouvelle limite de température du fleuve en aval du site (29°C) a été dépassée les 5 et 6 août pendant une durée totale de 21 heures.
Depuis le 7 août, la température de la Garonne en amont du site est régulièrement mesurée au-delà de 29°C, ce qui interdit évidemment un respect de la limite de 29° C en aval de la centrale ; la production de la centrale de Golfech n'est pas cependant totalement arrêtée, afin d'assurer la sécurité du réseau électrique".
Ces données, pourtant publiques puisqu'elles concernent l'environnement, ne figurent pas dans les données téléchargeables. Elles montrent pourtant la présence d'un pic de température, avec plusieurs jours consécutifs où l'eau dépasse les 29°C, voire les 30°C, et un impact surement important sur la vie aquatique.
On remarque aussi, sur cet exemple détaillé, que les températures à Lamagistère paraissent dépasser leur position intermédiaire entre celles de Verdun et celles de Moissac. Ce qui signifie qu'il y aurait un réchauffement significatif au niveau du complexe de la centrale et de sa retenue.
Conclusions
Les données de température disponibles ne sont pas d'assez bonne qualité pour en tirer des informations satisfaisantes, et notamment pour voir de façon fiable l'impact du changement climatique sur les écosystèmes. Compte tenu de la variabilité et des enjeux liés à ce facteur écologique, surtout dans cette zone équipée d'un ascenseur à poissons et susceptible de recevoir des rejets chauds, 1 mesure par mois, c'est extrêmement peu. Ce type d’analyse n’est pourtant pas particulièrement onéreux.
Il faudrait au moins une mesure par semaine à heure fixe et de façon régulière tout au long de l'année. Comment peut-on comprendre que l'on conduise des programmes de recherche et des opérations de terrain couteuses pour réintroduire des migrateurs sans disposer de données plus précises sur la température de l'eau, au moins en période estivale ? Et si ces données existent quelque part, pourquoi ne sont-elles pas disponibles ?
Est-ce que le public doit se contenter de données édulcorées peu explicatives ?
Malgré la mauvaise qualité des données (fréquences de mesure trop faible), on constate un réchauffement régulier et significatif des températures estivales de l’eau ces vingt dernières années.
Ce réchauffement, notamment en aval du Tarn, apparait nettement supérieur au réchauffement estival moyen des températures de l'air (voir schéma plus haut), même s'il est signalé que le réchauffement de l’air est "légèrement plus marqué au sud qu'au nord".
On ne peut que déplorer que les données exactes des températures de l'air sur cette zone géographique, comme sur toutes les zones, ne soient pas, sauf erreur, disponibles en consultation ni téléchargement gratuit au public. Ce sont pourtant des données de l'environnement.
Les aménagements et modifications morphodynamiques du passé ainsi que les activités humaines peuvent avoir un impact conséquent sur la température de l'eau. Voici par exemple, dans cet extrait du
document sur le secteur de Florac à l'amont des Vignes, le constat du
Sage Tarn Amont : "
ce secteur offre des conditions privilégiées pour le développement d'algues filamenteuses du fait de certaines particularités : - lame d'eau étalée et roche mère mise à nu sur de grandes portions en aval de Florac. Ceci est dû d'une part, aux importantes extractions de granulats qui ont eu lieu par le passé et d'autre part, au déficit en matériaux piégés plus à l'amont (retenues, enrésinement des versants), - ripisylve localement dénudée, résultat d'un vieillissement de la végétation qui ne se renouvelle pas et qui laisse un lit bien éclairé. Les caractéristiques exposées ci-dessus, responsables d'un réchauffement important de l'eau, d'une banalisation des habitats amènent à une diminution des capacités auto épuratoires de la rivière. Elles ont induit une dégradation certaine de l'écosystème : modification des peuplements piscicoles, apparition de végétaux aquatiques".
Mais l'allure de tous ces graphiques, qui traduisent les impacts thermiques des aménagements des cours d'eau, des activités humaines et du réchauffement climatique cumulés, évoque un phénomène étendu, continu et relativement récent (années 1980). On pense donc naturellement au réchauffement climatique. Du coup, l'observation du graphique des températures moyennes estivales de l'air simulées fait peur : la température estivale de l'eau dans la zone de Golfech étant d'environ 5°C supérieure à celle la température estivale moyenne de l'air, cela signifie que, en été, l'eau passera d'actuellement 25°C en moyenne à 30°C en moyenne vers 2100. Avec des pics à 35°C ou plus ?
Il faudra naturellement confirmer cette évolution sur une série temporelle plus longue.
Actuellement, l'impact de la remontée des températures sur l'oxygène dissous est heureusement compensé par la baisse de la pollution organique due à l'épuration des eaux usées. Mais après, quand on ne pourra plus diminuer la pollution organique, que va devenir l'oxygène dissous si les températures estivales continuent à monter ?
Les questions de gros bon sens :
- Quel est l'avenir, avec le réchauffement climatique, d'une filière nucléaire utilisant les eaux de rivières dans son système de refroidissement ? quel est le sens écologique d'une limite règlementaire de l'impact thermique si on ne peut pas la respecter justement quand il le faudrait pour préserver la vie aquatique ? Si on regarde l'évolution des températures estivales de l'air simulées, a-t-on délibérément choisi de sacrifier l'eau et les écosystèmes aquatiques au profit de l'énergie?
- Quel est l'avenir, avec le réchauffement climatique, de la réintroduction de migrateurs ?
- Pour limiter l'impact du réchauffement climatique, peut-on encore désaménager les cours d'eau ?
- Et que signifie, au niveau de la température, le bon état des eaux en 2015 ou même en 2027 ?
Création : 19 février 2009
Dernière actualisation :