Le nombre de pesticides quantifiés dans un même prélèvement n'est pas forcément lié à la concentration totale mesurée dans ce prélèvement. En effet, c'est la toxicité qui est le but recherché lors des épandages de pesticides. Or cette toxicité dépend bien entendu de la nature des substances, mais aussi de la stratégie de leur utilisation. La toxicité peut être plus élevée avec un cocktail de substances très peu dosées et fréquemment appliquées qu'avec une seule substance fortement dosée et moins fréquemment appliquée.
Les points de vue du nombre de substances quantifiées dans un même prélèvement d'eau et de la somme de leurs concentrations sont présentés en détail (méthodes, cartes, etc.) respectivement pour les cours d'eau et pour les nappes souterraines dans les articles
Carte de qualité des rivières : les pesticides cumulés dans l’eau en 2007 et
Carte de qualité des aquifères : les pesticides cumulés dans l’eau en 2007.
L'objet de cet article est de présenter, pour les cours d'eau et pour les aquifères, un exemple de vision globale de ces deux points de vue pas forcément liés sur la contamination des eaux par les pesticides de synthèse. Les estimations fournies par cet indicateur global ne remplacent bien entendu pas les qualités réelles indiquées dans chacun des deux articles déjà cités. En effet, en raison de la mauvaise qualité des données brutes et de la faiblesse du lien statistique exploité pour le construire, un tel indicateur global ne peut rester que très approximatif. Il présente un intérêt principalement pédagogique : une fenêtre ouverte sur les multiples points de vue pour exploiter l'énorme gisement déjà existant des données brutes, malgré des moyens réduits pour traiter les données.
Méthodologie
Tous les détails concernant les méthodes de réalisation des cartes, de sélection des stations et de calculs de la qualité de l'eau sont à consulter dans les deux articles déjà cités.
Pour chaque station de mesure, les cartes de qualité présentées dans ces articles montrent, de façon séparée, les valeurs des deux variables suivantes :
-le "Maximum en 2007 de la Somme des concentrations quantifiées/prélèvement",
-le "Maximum en 2007 du Nombre total de substances quantifiées/prélèvement".
L'objectif est d'obtenir l'équivalent d'une superposition visuelle de ces deux cartes qui montrerait pour chaque station la valeur la plus défavorable de ces deux variables.
Il va donc falloir les regrouper dans un même indicateur de qualité par station.
On pourrait choisir la solution la plus facile qui consiste à créer autant de classes de qualité pour chacune des deux variables, puis de prendre la classe la plus défavorable comme indicateur global. Le problème se situe dans le choix des limites de classes pour que leur comparaison ait un minimum de sens. Pour la variable "Maximum en 2007 de la Somme des concentrations quantifiées/prélèvement", les classes à effectif constant sont difficilement interprétables, les classes de taille arbitraire irrégulière ne conviennent pas à une étude patrimoniale de la contamination, et les classes de taille constante ne sont pas assez précises sauf à ce que leur nombre soit trop grand pour se prêter à une comparaison avec les classes pour l'autre variable. Se pose la question complexe du choix de gradations comparables entre les deux variables. Cette solution a donc été abandonnée.
Nous avons choisi de conserver telle quelle la variable "Maximum en 2007 du Nombre total de substances quantifiées/prélèvement" et d'obtenir un second point de vue sur ce maximum au moyen de la variable "Maximum en 2007 de la Somme des concentrations quantifiées/prélèvement".
Il s'agit donc d'exploiter le petit lien statistique qui existe entre elles, de façon à estimer du mieux possible un "Maximum en 2007 du Nombre total de substances quantifiées/prélèvement" fictif associé au "Maximum en 2007 de la Somme des concentrations quantifiées/prélèvement". L'indicateur global pesticides Eau-Evolution est tout simplement le maximum du "Maximum en 2007 du Nombre total de substances quantifiées/prélèvement" réel et du "Maximum en 2007 du Nombre total de substances quantifiées/prélèvement" estimé. Cet indicateur n'a bien entendu aucune prétention sur le plan statistique et ne peut se substituer aux deux indicateurs "Nombre maximum de substances quantifiées" et "Somme maximum des concentrations quantifiées" qu'il synthétise. On l'exprimera en "Equivalent nombre de substances" et pas en "Nombres de substances" pour ne pas oublier que, lorsque le nombre estimé est plus grand que le nombre réel, le nombre indiqué par l'indicateur est fictif.
Le nombre fictif de substances estimé via la somme des concentrations ne fait qu'augmenter un nombre réel de substances qui laisserait sous-entendre que la contamination est faible alors que la concentration totale réelle est relativement élevée.
Comme on a appliqué un principe de superposition des cartes de nombres maximum et de concentrations maximum, les prélèvements sur lesquels on a rencontré ces deux maximum ne sont, par construction, pas forcément les mêmes.
Ci-dessous les nuages de points et les courbes de régression permettant d'estimer, grossièrement bien entendu compte tenu de la qualité des données brutes et des moyens de traitement statistique disponibles, le "Maximum en 2007 du Nombre total de substances quantifiées/prélèvement" fictif qui correspond au "Maximum en 2007 de la Somme des concentrations quantifiées/prélèvement".
Le nuage de points pour les stations des cours d'eau
Le nuage de points pour les stations des nappes souterraines
Les nombres de substances estimés au moyen des fonctions de régression sont les arrondis entiers des valeurs obtenues.
Pour la clarté du graphique et la pertinence des courbes de régression, on n'a représenté que environ 95% des concentrations en partant des concentrations les plus basses quantifiées et avec des échelles adaptées pour les axes verticaux. Pour les concentrations élevées, le nombre estimé sera, dans la continuité des courbes de régression respectives, logiquement estimé comme constant et égal à 10 substances en rivières (à partir de environ 3 µg/L) et 5 substances en nappes (à partir de environ 0,6 µg/L).
Cette méthode revient à remonter tous les points des graphiques situés sous la courbe de régression jusqu'au niveau de la courbe de régression qu'il faut imaginer en escalier à cause l'arrondi entier du nombre de substances. Les chiffres suivants montrent que le nombre fictif n'est, comme cela était prévu par construction, largement pas surestimé : dans le cas des cours d'eau, le nombre fictif dépasse le nombre réel pour 46% des stations. Mais il n'y a dépassement de plus de 2 substances que pour seulement 12% des stations. Dans le cas des aquifères, le nombre fictif ne dépasse le nombre réel que pour 22% des stations. Il n'y a dépassement de plus de 2 substances que pour seulement 2% des stations.
Et pour les cours d'eau comme pour les aquifères, le nombre fictif ne dépassent par construction jamais le nombre réel maximum enregistré.
Ces deux graphiques montrent la faiblesse du lien entre la concentration totale maximum et le nombre de substances quantifiées maximum dans une même station : le pourcentage de variance expliqué se situe autour de 45%. C'est aussi le cas lorsque l'on s'intéresse au nuage de points, pas uniquement pour les valeurs annuelles maximales, mais pour les valeurs par prélèvement sur tous les prélèvements disponibles.
Les cartes de qualité
Il faut garder en tête, comme déjà signalé dans les deux articles déjà cités, le manque de représentativité des évaluations des contaminations par stations : en raison de la mauvaise qualité des données brutes, elles ne valent guère plus qu'une évaluation au minimum et ne sont pas vraiment comparables d'une station à une autre, surtout quand les stations ne sont ne dépendent pas des même grand bassins versants.
Le lecteur est invité à utiliser l'outil
LES CARTES INTERACTIVES pour fabriquer des cartes plus personnalisées (sélection des seuils, des couleurs, des tailles, des stations à afficher, etc.).
Comment interpréter l'indicateur global de contamination ?
Un exemple en cours d'eau :
Si la carte indique par exemple 6 équivalent-pesticides sur une station cours d'eau, cela signifie que l'on a trouvé en 2007 jusqu'à 6 substances quantifiées/prélèvement, ou une concentration totale maximum quantifiée/prélèvement équivalente à 6 substances quantifiées/prélèvement. Autrement dit, ce nombre de 6 substances est soit le nombre maximum réel de substances, soit une estimation du nombre maximum réel de substances. Dans ce dernier cas, en exploitant les graphiques de régression, on peut quand même connaitre la valeur réelle du maximum de la concentration totale.
Si donc la carte indique 6 équivalent-pesticides sur une station, c'est que l'on a trouvé en 2007 :
-soit un maximum réel de 6 substances quantifiées/prélèvement,
-soit un maximum réel de la concentration totale quantifiée/prélèvement voisin de la valeur indiquée en abscisse par la courbe de régression cours d'eau pour une ordonnée de 6, c'est-à-dire en l'occurrence de 1,1 µg/L. Compte tenu de l'arrondi effectué pour obtenir un nombre entier de substances à partir de la courbe de régression, la concentration correspondant à 6 substances va de 0,98 µg/L à1,32 µg/L.
Comme le montre le graphique, les concentrations maximum voisines de 1,1 µg/L sont en moyenne associées à la présence d'un maximum de 6 substances/prélèvement, mais la variabilité est élevée (de 1 à 14 substances). Pour les stations concernées, si le nombre maximum de substances quantifiées réel est plus grand que 6, c'est lui qui est l'indicateur. Dans le cas contraire, c'est le nombre fictif de 6 qui sert d'indicateur.
Cas des valeurs élevées de l'indicateur global :
Pour les cours d'eau, si la carte indique plus de 10 équivalents-pesticides sur une station, il s'agit du nombre maximum réel de substances quantifiées. Si elle indique exactement 10 équivalents pesticides, soit le nombre réel maximum est de 10, soit la concentration réelle maximum est d'au moins 3 µg/L.
De même pour les nappes souterraines, si la carte indique plus de 5 équivalents-pesticides sur une station, il s'agit du nombre maximum réel de substances quantifiées. Si elle indique exactement 5 équivalents pesticides, soit le nombre réel maximum est de 5, soit la concentration réelle maximum est d'au moins 0,6 µg/L.
Les cours d'eau
De façon à pouvoir estimer au mieux le nombre de pesticides (réel ou fictif) présents simultanément, voici 3 cartes réalisées avec les mêmes valeurs par station, mais présentées avec des seuils (couleur noire) croissants égaux respectivement à 5, 10 et 15 pesticides différents quantifiés dans un même prélèvement d'eau :
Le nombre réel de pesticides présents dans un même prélèvement en rivière en 2007 atteint la valeur maximale de 28 substances (le nombre fictif correcteur pour les concentrations élevées ne dépasse jamais 10).
Les nappes souterraines
De façon à pouvoir estimer au mieux le nombre de pesticides (réel ou fictif) présents simultanément, voici 3 cartes réalisées avec les mêmes valeurs par station, mais présentées avec des seuils (couleur noire) croissants égaux respectivement à 2, 4 et 6 pesticides différents quantifiés dans un même prélèvement d'eau :
Le nombre réel de pesticides présents dans un même prélèvement en aquifère en 2007 atteint la valeur maximale de 14 substances (le nombre fictif correcteur pour les concentrations élevées ne dépasse jamais 5).
Les zones les plus concernées par les pesticides en 2007
Ci-dessous, les zones qui sont, toujours bien entendu à partir des données brutes disponibles et des méthodes d'évaluation Eau-Evolution, les plus concernées par les pesticides en 2007.
Les cours d'eau
Les nappes souterraines
La comparaison des cartes de contamination des eaux de surface et des eaux souterraines, même si les données ne sont pas représentatives, souligne en particulier la grande vulnérabilité des nappes alluviales.
Pour les cours d'eau, le point de vue de la toxicité est très mal pris en compte dans les données brutes. Ce type d'évaluation globale nous donne au moins un aperçu de ce qu'elle peut être en réalité. Quant aux eaux souterraines, dépositaires à durée indéterminée de toutes les contaminations de surface, cette évaluation globale de type patrimoniale, même si elle reste approximative, ne peut que nous interpeler sur notre inconscience.
La forme des nuages de points et des courbes de régression polynomiale, pour les maximums annuels comme pour l'ensemble des valeurs, traduit assez bien le peu de lien entre les concentrations totales/prélèvement élevées et les nombres de substances quantifiées/prélèvement élevés. L'abaissement des limites de quantification des analyses chimiques peut augmenter significativement le nombre de substances quantifiées, mais sans toutefois beaucoup impacter la somme de leurs concentrations. D'où le danger des méthodes qui évaluent la qualité en se basant sur des seuils de concentration (par exemple le SEQ ou l'état chimique DCE), qu'ils soient définis par substance pour certaines substances ou pour la somme de toutes les substances, tout en évacuant l'évaluation des nombres de substances quantifiées et le problème des limites de quantifications jamais assez basses : il suffit que les stratégies d'épandage changent, et c'est ce qui semble se produire, pour que l'on tombe sous ces seuils d'ici quelques années, alors que rien ne prouve que la toxicité réelle, qui est aussi liée au nombre de substances et métabolites présents, aura diminué. Sans compter que plus on utilise de substances en cocktail avec des doses réduites de chacune, plus les concentrations dans les eaux seront basses et moins on pourra les détecter, sauf à abaisser en permanence les limites de quantification. Jusqu'à ce que la technique ne puisse plus suivre sauf à des coûts exorbitants. Si bien qu'il y aura peut être autant de toxicité dans les eaux qu'avec l'Atrazine, sauf que l'on ne pourra plus rien mesurer et que l'état chimique sera très bon.
Les données brutes ne sont pas encore de qualité suffisante (voir les articles
Carte de qualité des rivières : les pesticides cumulés dans l’eau en 2007 et
Carte de qualité des aquifères : les pesticides cumulés dans l’eau en 2007 ainsi que l'ensemble de la rubrique
Micropolluants chimiques). Alors comment étudier la capacité de tel ou tel indicateur biologique à révéler la toxicité si on ne dispose pas de données chimiques adaptées ? Ce type d'indicateur peut-il vraiment compenser le manque de pertinence des mesures chimiques ?
La ressource en eau a été déclarée patrimoniale en 1992, mais une surveillance des eaux peut-elle se prétendre patrimoniale tant que les mesures chimiques ne permettront pas d'évaluer la toxicité
in situ et de façon globale, y compris sous ses aspects cocktails de substances et de métabolites à faibles doses ?
Création : 29 août 2010
Dernière actualisation :